Correspondances de guerre, 1914-1918.

Seconde partie : 1916-1919

Résumé : Durant les quatre années de guerre, Jean Baptiste Renault a régulièrement adressé à ses enfants Marie et Jean des cartes postales du front puis, après sa blessure de septembre 1915, de ses lieux de soin et de convalescence.

Les illustrations allégoriques et les rédactions, souvent très brèves et parfois maladroites, contribuent à nous faire comprendre le lien rendu difficile par la distance et le chaos du conflit mondial et à nous faire entrer dans l'intimité familiale.

Si certains contenus peuvent nous paraître aujourd'hui un peu insignifiants, il nous faut nous souvenir que les photographies étaient alors encore rares et que les moyens actuels de communication n'existaient évidemment pas.

La réception d'une carte postale, quelle qu'en soit la qualité, était toujours importante et très attendue.

Summary : During the four years of the war, Jean Baptiste Renault regularly sent his children Marie and Jean postcards from the front and then, after his wound in September 1915, from his places of treatment and convalescence.

The allegorical illustrations and the writings, often very brief and sometimes awkward, help us to understand the bond made difficult by the distance and the chaos of the world conflict and to bring us into family intimacy.

If some content may seem a little insignificant to us today, we must remember that photographs were still rare then and that the current means of communication obviously did not exist.

Receiving a postcard, no matter how good, was always important and highly anticipated.

 

6 janvier 1916

[à sa femme]

Enghien, le 6 janvier 1916

Ma chère petite femme,

Je viens de recevoir une carte de Marie Godin ; je compte lui répondre dans les jours. J'irai peut-être ce soir à Paris, si Jean Durand ne vient pas ici avec mon ancien adjudant comme il me l'a à moitié promis hier. Dis à Jean que c'est entendu et que je lui emporterai un train. Ici, le vidage se fait, on en renvoit plusieurs mais je reste pour un moment encore. J'ai reçu une carte de Mme Diverrès me disant que M. Diverrès était au Mans ; je voudrais bien être avec lui, quoique le voisinage de Paris n'a rien de désagréable.

Je vais toujours la même chose, c'est-à-dire pas trop mal ; l'amélioration vient lentement. Depuis le premier janvier, j'ai la flegme [sic] d'écrire et j'ai bien des lettres en retard.

Embrasse les deux petits chéris pour moi. Un baiser de ton petit homme qui t'aime.

JB Renault

8 janvier 1916

Enghien, le 8 janvier 1916,

Ma chère petite Marie,

Voici une jolie carte que tu conserveras dans ton album. Je pense qu'elle te fera plaisir. Pour le moment je vais de mieux en mieux, mais je ne suis pas encore guéri. Dis à Maman que j'ai reçu une lettre de Marie-Louise [il s'agit probablement de Marie-Louise Vitel, infirmière à Paris, cousine germaine de sa femme Augustine Jean], me disant qu'elle ne viendrait que samedi. J'ai reçu hier soir le certificat d'hébergement qu'elle m'a envoyé.

Je suis content de savoir que tu es toujours gentille et laborieuse. Embrasse maman pour moi et souhaite le bonjour de ma part à Euphrosine.

Ton papa qui t'aime et t'embrasse,

JB Renault

14 janvier 1916

[de son ami Louis Briffa, rencontré durant la guerre]

Affreville le 14/1/16

Mon cher Renault,

J'ai reçu ton aimable carte que tu m'as adressée à Moisselles. J'ai quitté l'hôpital le 1er et à Clignancourt on m'a remercié avec 7 jours de permission. Je suis dans ma famille où le temps me paraît bien court. Au revoir mon cher Renault et reçois les bonnes amitiés de ton ami.

Louis Briffa à Affreville (département d'Alger).

Te rappelles-tu "Le Vioux", les dames, dominos, etc. Ah, que de bons souvenirs !...

19 janvier 1916

[à son fils Jean]

Mon cher petit Jean,

Je suis très heureux que tu m'aies écrit un petit mot dimanche. Je t'assure que tes lettres me font beaucoup plaisir. Dans quelques jours j'irai te retrouver à Trémeur et t'emporterai un beau "Meccano" qui te fera bien plaisir. J'ai grand hâte de te revoir ; maman et Mlle Guyomard [l'institutrice de Jean] sont satisfaites du petit Jean et rien ne peut faire plus plaisir à papa que d'avoir un petit garçon gentil et laborieux.

Donne le bonjour de ma part à Mlle Guyomard et à Euphrosine. Embrasse maman pour moi.

Un gros baiser de ton papa qui t'aime.

JB Renault

7 avril 1916

[à son fils Jean. Jean-Baptiste est alors en convalescence au lycée de Rennes, devenu lycée Chateaubriand puis lycée Emile Zola, réquisitionné et transformé en hôpital militaire n°1. Ce nouveau lieu lui permet de recevoir facilement des visites de la famille ou d'amis].

 

Rennes, le 7 avril 1916,

Mon cher petit Jean,

J'espère que tu dois être content de ta promenade. Peut-être reconnaîtras-tu la statue et la volière que représente cette carte ?

Quand il fera beau, il faudra alors courir au soleil : dans la soirée tu auras tout le temps nécessaire pour jouer au "Meccano".

Embrasse maman et Maby pour moi. Le bonjour à Mlle Guyomard. Je pense que tu lui donnes toujours satisfaction en étant sage et laborieux en classe.

Un gros baiser de ton papa qui t'aime.

JB Renault

9 avril 1916

[de "Maby" (Marie, 11 ans) à son père Jean Baptiste]

 

Trémeur, le 9 avril 1916,

Mon cher papa,

Ce matin nous n'avons rien reçu de toi mais nous allons avoir de tes nouvelles par M. Leduc [instituteur retraité, de retour en activité en remplacement de JB Renault]. Je n'ai pas eu le temps de finir ma lettre car j'étais pressée de jouer aux osselets. Maman ne va pas avoir le temps de t'écrire aujourd'hui car Euphrosine e[s]t allée à la foire. Ta petite fille qui t'aime et qui pense toujours à toi.

Marie

Trémeur le 11 avril [?].

19 avril 1916

[à son fils Jean]

Rennes, le 19 avril 1916,

Mon cher petit Jean,

Je compte aller te voir bientôt à Trémeur. Si je n'ai pas de permission, c'est toi qui viendras me voir.

Cela te fera sans doute grand plaisir, car tu aimes les voyages et tu es heureux de voir ton papa.

Amuse-toi bien pendant tes vacances, sois toujours gentil et obéissant et tout le monde t'aimera comme je t'aime. Rien ne me fait tant plaisir que lorsque ta maman me dit que tu es aimable et câlin.

Embrasse maman pour moi.  que faudra-t-il t'emporter si je vais en permission ?

Reconnais-tu bien l'établissement que représente cette vue ?

Un gros baiser de ton papa qui t'aime beaucoup.

JB Renault

6 mai 1916

[à son fils Jean]

Rennes, le 6 mai 1916

Mon cher petit Jean,

Je te remercie de ta longue lettre que j'ai reçue il y a trois jours ; je suis heureux que tu as [sic] toujours de bonnes intentions de travailler.

Je compte te voir bientôt à Rennes.

Un gros baiser de ton papa qui t'aime et pense à son petit Jean.

JB Renault

1er juin 1916

[d'un ami Lancien à "Jean" Renault, sergent 361ème, 17ème compagnie, SP 133. Cette carte adressée sous franchise militaire depuis Guingamp semble s'être égarée avant d'arriver à son destinataire]

Le 1er juin [?]

Un bon souvenir

Ton ami Lancien

Sergent 161ème, 26ème compagnie

Guingamp

10 août 1916

[de sa fille Marie, 11 ans, en vacances chez sa tante Louise Créhalet à St-Brieuc. Jean Baptiste Renault, désormais versé au 161ème RI, 25ème Compagnie B, est alors en service d'instructeur au Vieil hôpital de Guingamp réquisitionné pour servir de centre de formation militaire].

St-Brieuc le 10 août,

Mon cher papa,

Un bon baiser de St-Brieuc. Maman t'écrira tantôt.

Marie Renault 

2 septembre 1916

[à sa femme, en vacances chez sa sœur Louise Créhalet demeurant 14 rue Jobert de Lamballe à St-Brieuc]

Bonjour en cours de route. Tout va bien. Le courage est toujours bon. A toi bonnes vacances et beaucoup de plaisir.

Ton petit homme qui t'embrasse.

JB Renault

12 septembre 1916

[de sa femme Augustine, de passage à St-Brieuc, qui retournera à Trémeur le lendemain pour assurer la rentrée scolaire 1916].

St-Brieuc 12/9/16

Ai fait un excellent voyage. Nous repartons demain mercredi vers midi après le marché. Nous serons à Broons à 1h25.

Bons baisers de tous.

Augustine

11 décembre 1916

[de son ami Leroux, rencontré à la 27ème Compagnie]

Néroudes, 11-12-16

Mon cher camarade,

Si par hasard je recevais des lettres à la 27ème compagnie, tu serais bien gentil de me les faire parvenir ici. Jusqu'à présent, je ne me déplais pas trop en permission ; tout ce que je demande c'est de n'être pas rappelé.

Bien des choses aux copains de la popote et bien cordialement à toi.

M Leroux

Qu'est-ce qu'il y a de neuf à la Compagnie ?

10 février 1917

[à son fils Jean, depuis le Vieil hôpital de Guingamp où il est instructeur des élèves caporaux. On distingue Jean Baptiste au centre de la photographie].

 

Le 10 février 1917

Mon cher petit Jean,

Avec tous les élèves caporaux j'ai été photographié mercredi dernier ; je t'envoie une épreuve de cette photo. J'attends un petit mot de toi ; cela me fera plaisir. Maman m'a dit que tu avais reçu la chanson que je t'ai envoyée dimanche ; il y manque le 3ème couplet que je compte pouvoir te procurer plus tard.

Aujourd'hui dimanche je ne sais ce que je vais faire de mon après-midi surtout ; je tacherai de ne pas trop m'ennuyer et irai faire un petit tour dans les environs.

Embrasse maman pour moi et dis-lui que je compte que cette carte la trouvera en bonne santé et parfaitement rétablie. Je ne sais encore quand nous irons en permission ; peut-être y aura-t-il des nouvelles pour le 15 du mois courant, ou, au plus tard, pour le 1er mars.

Un gros baiser de ton papa qui t'aime tant,

JB Renault

7 janvier 1918

[de Veuve Guinard, demeurant à Trémeur, à Jean Baptiste qui est désormais placé au 48ème RI, 36ème Compagnie, 9ème Bataillon, secteur 20T]

Trémeur, 7-1-18

Nous avons reçu vos souhaits de bonne année, en échange nous vous adressons nos meilleurs remerciements et vœux de bonheur. Notre santé est très bonne, nous désirons qu'il en soit ainsi de vous.

Recevez nos meilleurs souvenirs,

Vve Fr. Guinard

5 octobre 1918

[à sa fille Marie]

Le 5 octobre 18,

Ma chère petite Marie,

Je te remercie de ta gentille lettre que j'ai reçue l'autre jour avec celle de Jean. Je suis toujours tranquillement au repos et en bonne santé. Tu diras à maman que j'ai eu hier sa lettre de St-Brieuc et que je lui écrirai demain. Je suis heureux de savoir que tu rentres à l'annexe et espère que tu travailleras comme par le passé. Ici, rien de nouveau ; ce matin il est passé environ 200 Boches prisonniers, plusieurs étaient à peine plus grand que Jean. Ils ne paraissaient pas fiers du tout.

Je vois que je ne pourrai aller en permission avant la fin du mois ; c'est ennuyeux, mais que veux-tu ? Je te verrai à St-Brieuc, bien que j'eusse préféré être avec vous tous pendant les vacances.

Embrasse maman et petit Jean pour moi, donne le bonjour de ma part à Marie Godin et à Noël.

Un gros baiser de ton papa qui t'aime,

JB Renault

12 janvier 1919

[Si l'armistice a été signé le 11 novembre 1918, la paix ne l'est pas encore. Les belligérants restent mobilisés jusqu'au juin 1919 (traité de paix signé à Versailles, et les troupes françaises occuperont encore de nombreux mois les zones frontalières].

[A sa femme]

 

Carspach, le 12 janvier 1919,

Ma chère petite femme,

Je viens de recevoir ta lettre du 9 courant en arrivant à Dannemarie où je suis allé faire un tour cet après-midi. Nous n'avons d'ailleurs pas eu très beau temps. Tu as parfaitement raison de faire continuer à Jean ses leçons particulières, je n'ai jamais douté qu'il soit plus tard et même bientôt parmi les meilleurs élèves. Ce que je souhaite surtout, c'est que les classes ne lui fassent pas changer la manière d'écrire et de penser qui, à mon avis, est merveilleuse.

Je suis toujours sans nouvelles de Plouasne [commune où résident de la famille ou des amis]. On attend sans doute que je souhaite la bonne année le premier, mais cela n'a absolument rien à faire.

J'ai reçu aussi une carte de Léonie Lebras [jeune femme demeurant au Lion d'Or en Trémeur, amie de la famille], me remerciant de mes vœux.

J'enverrai à Marie et à Jean une carte dans le genre de celle-ci et que j'ai acheté à Dannemarie, gros bourg mais pas gai du tout.

Je compte toujours m'en aller au commencement ou mi-février, pas plus tard;

Un gros baiser de ton petit homme qui t'aime.

JB Renault

13 janvier 1919

[à sa femme]

Carspach, le 13 janvier 1919

Ma chère petite femme,

Je suis rentré de bonne heure avec les travailleurs et j'en profite pour t'écrire un petit mot. Ce soir je n'ai eu de lettre de personne. Ici, rien de bien nouveau ; il paraît toutefois que nous resterons ici assez longtemps ; cela me fait plaisir.

Je vais toujours bien mais aujourd'hui j'ai le genou droit qui me fait mal et est enflé ; j'irai à la visite demain : ce n'est pas le moment de trainer la jambe.

Ici, le temps est assez beau ce soir, mais il a plu les jours derniers ; malgré cela nous n'avons pas à redouter l'inondation. Si tu reçois des catalogues d'articles de pêche ou de graines, mets-les de côté : je vais écrire pour qu'il m'en soit envoyé à Trémeur.

Un gros baiser de ton petit homme qui t'aime.

JB Renault

31 janvier 1919

[à sa femme. De Carspach, Jean Baptiste a été conduit en soins à Antibes].

Antibes, le 31 janvier 1919,

Ma chère petite femme,

Je viens de recevoir ta lettre expédiée de St-Brieuc et celle contenant les 200 Fr. Je t'en remercie mais je vois qu'ils ne me seront pas très utiles ici, puisque je ne peux sortir. Je suis heureux de savoir que vous êtes tous en bonne santé et de voir que tout a marché pour le mieux en ce qui concerne Maby [leur fille Marie].

Mercredi, nous allons 3 à l'hôpital, non pas que je sois plus mal, au contraire, mais on ne peut nous garder à l'infirmerie du 311ème. puisque notre subsistance à ce régiment cesse le 5. Cela est pour nous éviter de retourner en Allemagne. Ecris-moi à la même adresse, les correspondances me parviendront la même chose. Moi je vais de mieux en mieux mais je redoute le voyage et suis enchanté de ne pas rejoindre Mulhouse pour rallier St-Brieuc quelques jours plus tard. Il est à peu près certain que le 13 j'obtiendrai une convalescence ce qui me permettra d'attendre la démobilisation.

Je compte être parfaitement rétabli sous peu, je souffre moins depuis 2 jours.

Dans les derniers jours, je compte visiter la ville et les environs ; ils en valent la peine, peut-être pourrai-je aller voir Nice, ce qui me ferait bien plaisir.

Un gros baiser de ton petit homme qui t'aime et t'embrasse bien fort.

JB Renault

9 février 1919

[à sa femme]

Antibes, le 9 février 1919,

Ma chère petite femme,

Aujourd'hui, cela va beaucoup mieux ! Le genou est désenflé et il n'y a plus que très peu d'eau sous la rotule. La jambe ne me fait plus mal. Cependant je vais rester quelques jours encore, afin de me remettre complètement et pour éviter des complications. Je compte partir à la fin de la semaine ou au commencement de la prochaine ; je serai démobilisé en arrivant. Je ne vais pas sortir avant deux ou trois jours pour me promener.

Hier j'ai eu ta lettre du 7, mais je n'ai encore rien de la compagnie ; j'aimerais cependant recevoir mes papiers avant de rejoindre mon dépôt ou sans cela il me faudrait traîner à St-Brieuc, ce que je ne désire pas.

La santé va admirablement, mais un peu d'exercice et d'air ne me feraient pas de mal. Je ne me fais pas de bile le moins du monde, attendu que je suis de la classe [?]. Ici le temps est superbe aujourd'hui ; il s'était gâté hier soir mais il s'est remis car le mauvais temps ne dure pas.

Un gros baiser de ton petit homme qui t'aime,

JB Renault

Le 10/2

Hier il n'y a pas eu de levée, je n'ai pas mis ma lettre ; je n'ai eu aucune nouvelle. La santé va de mieux en mieux ; je quitterai avec une convalescence ou une permission. Ici il fait beau.

Mille bons baisers,

JBR

15 février 1919

[à sa femme]

Antibes, le 15 février 1919

Ma chère petite femme,

J'ai reçu hier ta lettre du 11. J'ai demandé ce matin à sortir de l'hôpital ; je partirai mardi matin à 7 heures 23 pour arriver le jeudi matin. Je compte aller cet après-midi envoyer des fleurs à Marie et me faire couper les cheveux.

Demain je visiterai les environs et lundi je ferai mes provisions pour emporter ; je ne sais pas trop qu'emporter à Jean, il m'a parlé d'un album pour collection de timbres, mais je ne sais si je trouverai cet article. Donc dans 5 jours je serai rentré avec une permission de 10 ou 20 jours ; en tout cas cela n'a pas d'importance.

Un gros baiser de ton petit homme qui t'aime.

JB Renault

Mise en ligne : octobre 2022

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2024

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