Etre écolier à Trémeur de 1913 à 1918

  

Note de Marie LE BAILL, 1988

 

Cette note a été écrite par Marie LE BAILL, veuve de Jean RENAULT, à l'occasion d'un appel à contribution organisé par l'Amicale Laïque de Trémeur dans le cadre d'une fête organisée en juin 1988 à l'école de Trémeur (Côtes d'Armor).

 

Jean RENAULT entra à l'école élémentaire à l'âge de 5 ans. Il avait 6 ans en 1914 quand éclata la "Grande Guerre", qu'on appela plus tard la Première Guerre Mondiale. Ses parents, instituteurs à Trémeur, étaient logés à l'école. Son père Jean-Baptiste fut mobilisé dès le mois d'août 1914, et sa mère l'éleva en compagnie de sa sœur Marie. En 1919, au retour de son père, Jean RENAULT était inscrit en 6ème au lycée de St-Brieuc et n'habitait plus à l'école de Trémeur.

JMR

 

 

Il est tenu un Cahier spécial de devoirs mensuels que l'enfant doit conserver pendant toute la durée de sa scolarité. Il est déposé à l'école.

 

Sur la page 2 de couverture figurent les recommandations adressées à l'élève qui reçoit le "présent cahier". En voici quelques extraits.

"Enfant ! Faites en sorte de pouvoir un jour regarder cet abrégé de votre vie scolaire sans devoir en rougir..."

 

Il est recommandé de se comparer, non aux autres mais à soi-même, pour mesurer les progrès.

 

"Faites toujours des efforts, afin de faire toujours des progrès : c'est la loi de l'école parce que c'est la loi de la vie, les hommes y sont soumis tout comme les enfants."

"Enfant ! Songez encore à ceci : on ne travaille pas pour soi seul dans ce monde, on travaille aussi pour les autres. Les petits enfants eux-mêmes, sans y penser, travaillent pour leur pays. Car les bons écoliers feront les bons citoyens."

"La France a besoin de travailleurs et de gens de bien. Le paresseux fait du tort à lui-même, sans doute, mais il fait tort surtout à son pays... Je veux travailler, je veux devenir meilleur non pas seulement parce que c'est mon intérêt, mais parce que c'est mon devoir."

 

Le cahier de Jean RENAULT indique qu'il était né le 30 décembre 1908 et qu'il était entré à l'école le 14 septembre 1913.

Au cours préparatoire 2ème année, il fait son premier devoir sur le cahier le 2 décembre 1914. Problème et additions...

 

Le 11 décembre 1914, on y trouve une copie :

 

"Aux petits Français,

Quand vous serez devenus grands, vous serez soldats. On n'est un vrai soldat que lorsque l'on s'habitue de bonne heure à la tempérance, à l'exercice, à tout ce qui rend fort, robuste et courageux. Il faut aussi vous habituer à l'obéissance, car la France, pour être bien servie, veut des soldats disciplinés et des hommes soumis aux lois"...

 

Chaque mois, on y trouve un problème, des exercices, une dictée, des écritures.

 

Le lundi 7 février 1916, la dictée intitulée "Paroles d'une fermière" parle de cette femme dont le mari est mobilisé et qui mène ses bêtes à l'abreuvoir sous les obus... "Il faut s'y habituer" !

 

L'exercice d'invention du samedi 11 mars 1916 concerne le régiment. Le samedi 10 avril 1916, la dictée décrit la joie du papa qui, au front, reçoit une lettre de son enfant.

 

Tous ces devoirs sont rédigés à l'encre violette et à la plume Sergent-Major.

 

Mademoiselle LE TYNEVEZ est l'institutrice qui apprend à Jean RENAULT les bases de lecture, écriture et calcul. Jean lui sera reconnaissant toute sa vie de ces bases solides qui, disait-il, lui avaient permis de faire de brillantes études.

 

Mais il y a aussi la récréation et les jeux. C'est sans danger à cette époque, on peut jouer partout aux alentours de l'école et, après la classe, jusque dans le bourg.

 

Tout garçon qui se respecte (et c'est le cas de tous) possède un excellent couteau avec lequel il fabrique ses jeux et jouets.

 

On joue au pirlipipet, dont Jean RENAULT a décrit lui-même la fabrication sur une feuille annexe.

Dans le ruisseau qui borde la route, on fait des moulins à eau. On réalise des sublets (sifflets).

Le bois du sureau permet de réaliser des tamponnes, sortes de pistolets à air comprimé.

On joue aussi au tek, sorte de tennis dont la raquette est faite d'écorce de chêne. Et n'oublions pas les jeux de canettes (billes).

 

Madame RENAULT, mère de Jean, était directrice de l'école des filles. Elle était très ferme, et gardait parfois les élèves récalcitrantes en longues retenues après la classe, en ayant soin de faire prévenir les familles.

 

Le succès au "certificat" (certificat d'études primaires) était la récompense de toutes, élèves et maîtresses.

 

Monsieur RENAULT avait été mobilisé dès août 1914. Il ne pourra reprendre ses fonctions qu'en 1919 ou 1920.

Il racontait que l'on venait parfois pendant la classe chercher un de ses élèves qui avait le don de relever l'"osset cha": on croyait que l'estomac avait un os qui, en tombant, causait certaines maladies et provoquait des vomissements.

 

Monsieur LEDUC, un des instituteurs, disait paraît-il à ses élèves : "Quand tu te marieras, si tu m'invites, j'irai à tes noces. Si tu ne m'invites pas, j'irai quand même et je mangerai deux fois plus !".

 

Parmi les enseignants se trouvaient également Monsieur et Madame JULOU.

 

 

Depuis l'école, on entendait bien passer les trains à proximité. Ceux-ci intéressaient fortement les garçons (Jean RENAULT rêva alors de devenir mécanicien), et les nombreux convois américains de 1918 emplissaient la campagne du bruit de sifflet de leurs locomotives.

 

Etre écolier de 1914 à 1918 était inséparable de la vie quotidienne des familles en temps de guerre. Rappelons que de tous les soldats de la classe 1916 (jeunes gens nés en 1896), un seul revint vivant, et gravement blessé.

 

Il y avait alors à Broons un hôpital, peut-être situé dans le couvent, où étaient accueillis des militaires de retour du front et fortement choqués psychologiquement. Il fallut un soir en faire sortir un qui s'était introduit dans  l'école de Trémeur, tâche physique que Madame RENAULT réalisa sans crainte.

 

Sa jeunesse trémeuroise avait beaucoup marqué Jean RENAULT et il est toujours et en toutes circonstances resté fidèle à sa commune natale. A travers ses récits, nous nous représentons fort bien toute son enfance.

 

 

Je vous livre donc ces souvenirs auxquels je me suis efforcée d'être fidèle.

 

Publication : septembre 2020

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2024

Reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.