Résumé : Les neuf enfants RENAULT nés au Gouray entre 1862 et 1882 ont connu des existences très diverses.
En dehors des deux enfants morts en bas âge (Eugène et Césarine), ils quittèrent tous le bourg du Gouray pour des destinations plus ou moins lointaines, jusqu'à Alger ou les Etats-Unis, à l'exception d'Angèle qui vécut toute sa vie dans son village natal.
Deux garçons furent militaires (Victor et Eugène), un fut instituteur (Jean-Baptiste).
Deux sœurs (Marie puis Olympe) se marièrent successivement au même mari (Armand Bertin), boulanger du village.
Summary : The nine RENAULT children born in Gouray between 1862 and 1882 have had very diverse lives.
Apart from the two children who died in infancy (Eugène and Césarine), they all left the village of Gouray for more or less distant destinations, as far as Algiers or the United States, with the exception of Angèle who lived all his life in his native village.
Two boys were soldiers (Victor and Eugène), one was a teacher (Jean-Baptiste).
Two sisters (Marie then Olympe) married successively to the same husband (Armand Bertin), baker from the village.
Les frères et sœurs de notre ascendant Jean-Baptiste RENAULT présentent une biographie intéressante qui témoigne des mutations de la société durant la fin du XIXème siècle et le début du XXème.
Joseph RENAULT et Azeline LE BLAIN ont eu 9 enfants, 4 filles et 5 garçons, tous nés dans leur maison du bourg du Gouray :
■ Marie RENAULT (1862-1897).
Marie naît le 10 juillet 1862 au Gouray et passe toute son enfance dans cette commune. Elle se rend à l’école, qui est désormais obligatoire jusqu'à l’âge de quatorze ans. Elle aide à tenir la maison, tâche rendue nécessaire par les multiples naissances qui suivront la sienne. Dans les différents actes, elle sera toujours qualifiée de « ménagère ».
· Premier mariage de Marie RENAULT (épouse COLLEU).
Marie épouse le 22 octobre 1887, au Gouray, Jean Marie COLLEU [1], natif de St-Jacut-du-Méné.
Jean Marie est charron et demeure alors à St-Quentin-en-Mauges (Maine-et-Loire).
Le couple s'installe au Gouray où il a en 1888 un premier enfant, Azeline, qui meurt prématurément à l'âge de 3 ans.
Jean Marie obtient peu de temps après un emploi aux chemins de fer, ce qui conduit le couple à partir et à s'installer rue de l'Eglise à Mantes en Seine-et-Oise (actuellement Mantes-la-Jolie, Yvelines) où il aura en 1890 un fils prénommé Emile.
En 1891, quatre ans seulement après son mariage et alors qu'il n'a que 28 ans, Jean Marie décède en 1891 à son domicile de Mantes en présence de sa femme et de son beau-père, Joseph RENAULT, qui s'est rendu auprès de sa fille.
Son mari, charron de son état, décède prématurément, le 21 septembre 1891 à l’âge de 28 ans.
A 29 ans, Marie RENAULT se retrouve ainsi veuve et retourne s'installer au Gouray où elle élève son fils Emile COLLEU.
Emile grandit au Gouray puis devient à son tour employé aux Chemins de Fer de l’Etat [2].
Recruté au 410ème RI où il passe caporal, Emile COLLEU est blessé durant la guerre 14-18. Il se marie en 1917 à Caulnes (Côtes d'Armor) avec Anna LEMARCHAND, et décède des suite de ses blessures en juin 1919.
Emile COLLEU est déclaré "Mort pour la France" et son nom figure au monument aux morts de Caulnes.
· Second mariage de Marie RENAULT (épouse BERTIN).
Quelques temps après le décès de son mari, Marie RENAULT trouve un emploi de domestique à Cognac [3] mais conserve un lien fort avec sa famille du Gouray.
C'est dans sa commune natale qu'elle épouse en 1895 en seconde noce Armand BERTIN, un « hors-bordien »[4] qui a dix ans de moins qu’elle.
Armand BERTIN « père »[5] est né de père inconnu le 14 janvier 1872 à la maternité de Port Royal à Paris. Sa mère, balayeuse rue de Grenelle et avenue du Maine, habitait 18 rue de Chazelles à Paris.
La capitale était alors occupée par l’armée prussienne à la suite de la fin de la guerre de 1870, et on suppose que son père était peut-être un soldat d’occupation en raison de la morphologie « germanique » d’Armand, notamment son corps athlétique et ses cheveux blonds.
Placé à l’Assistance Publique, Armand passe son enfance dans la région de Tinténiac (Ille-et-Vilaine), puis trouve une place de commis boulanger à Rennes. Apprenant qu’une place de patron est disponible dans la boulangerie du Gouray, il se rend dans ce village qui est alors nouveau pour lui.
Il fait la connaissance de Marie RENAULT, veuve de son premier mari et qui a alors 33 ans, avec qui il se marie le 6 mai 1895.
Quelques temps plus tard, le couple quitte Le Gouray et se rend à St-Glen où la boulangerie est disponible. Il y rejoint un ami du Gouray qui est venu peu avant dans ce village pour y faire fonction de maréchal-ferrant [6].
Du mariage de Marie RENAULT et Armand BERTIN naît le 11 mars 1896 à St-Glen un premier enfant, prénommé Armand comme son père, qui meurt au Gouray à l'âge de 13 mois le 22 avril 1897.
Le second enfant, prénommé Ernest, naît le 14 mars 1897 à St-Glen [7].
Marie RENAULT décède le 10 juin 1897 de la tuberculose à l'âge de 34 ans, alors que son premier enfant est mort deux mois plus tôt, et que son second enfant Ernest est âgé de seulement trois mois. Ce mal qui l’a frappée est particulièrement répandu dans les campagnes bretonnes, et il n’existe alors contre lui aucun remède satisfaisant.
Ernest sera élevé avec son demi-frère Emile COLLEU, les deux enfants étant placés dans la famille.
Ernest BERTIN est envoyé au front durant la guerre 14-18, où il est gazé et rendu gravement handicapé. Il sera pensionné de guerre.
Plus tard, il s’installe à Moussey (Vosges) où il se marie à Georgette JOUANNES (« tante Georgette ») le 19 mai 1923.
Le 9 juillet 1938, il va chercher en voiture à la gare de Nancy son frère Pierre BERTIN, invité chez lui pour quelques temps. Près de Varangéville (Meurthe-et-Moselle), il ne peut éviter un automobiliste danois qui conduit à gauche comme il l’aurait fait chez lui [à cette époque, les conducteurs des pays scandinaves roulent à gauche]. Le choc frontal est terrible. Ernest, qui a 41 ans, est tué sur le coup.
La force physique d’Armand BERTIN est légendaire, et figure en bonne place dans les souvenirs de famille.
A cette époque, la pâte à pain est entièrement pétrie à la main, et la consommation de l’époque conduit les boulangers à prévoir deux fournées quotidiennes.
Dans ces conditions, la musculature constitue un élément déterminant de cette profession. Armand BERTIN peut ainsi soulever sans grand effort des sacs de farine de 100 kg. Il fait ses tournées de pain en charrette à bras jusqu'à Penguilly.
Il est reconnu comme le meilleur lutteur de St-Glen et de la région, et l’on craint sa force si par malheur il doit l’utiliser contre quelqu’un à l’occasion d’une dispute.
Par jeu, il s’amuse avec d’autres hommes à courir en dévalant jusqu'à un moulin proche, chargé de sacs remplis sur le dos [9]. Quand il croise les bras, ses deux biceps se touchent au point de cacher sa poitrine [10]. On prétend même qu’un jour, alors que le forgeron de St-Glen déménageait et tentait vainement de déposer son enclume dans une charrette avec l’aide de trois hommes, Armand BERTIN qui passait là intervint et souleva seul l’enclume, la posant sur un genou, puis sur sa hanche et la déposant enfin sur la charrette [11].
Armand BERTIN était heureusement d’un caractère très calme. Pourtant, il ne fallait pas lui chercher noise.
Alors qu’il se promène sur une route avec son petit chien, il croise trois militaires en permission qui se mettent imprudemment à taquiner son chien puis à lui lancer des cailloux. Armand leur demande d’arrêter. Nos trois permissionnaires n’ont pas la sagesse d’obéir, et continuent à maltraiter l’animal tout en se moquant de son maître. Il n’en faut pas plus pour qu’Armand se saisisse de deux d’entre eux, qu’il rosse copieusement et couche à terre l’un sur l’autre. Le troisième va rapidement les rejoindre et Armand pose fièrement le pied sur la pile d’éclopés qui regrettent un peu tard d’être tombés sur une telle force de la nature [12].
On possède une copie de l’inventaire après décès des biens de la communauté [13], qui comprend la liste fidèle et la description exacte de tous les meubles, habits, linge, argent comptant, titres et papiers que possédaient conjointement Marie RENAULT et Armand BERTIN.
■ Olympe RENAULT (1875-1906).
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Après le décès de Marie, Armand BERTIN souhaite épouser sa belle-sœur Olympe RENAULT, qui habite alors Cognac où elle est placée chez des propriétaires.
Celle-ci lui écrit souvent, mais c’est son beau-frère Jean-Baptiste RENAULT (notre grand-père) qui est chargé par Armand de rédiger ses lettres car il ne sait pas bien lire et écrire.
Le stratagème est hélas découvert, sans doute parce que la rédaction est trop parfaite et Olympe lui répond qu’elle ne souhaite pas lire des lettres écrites par son propre frère [14].
Quelques temps après, Olympe quitte Cognac et regagne Le Gouray. Elle se marie à St-Glen le 26 août 1898 avec Armand.
Olympe mourra précocement, à l’âge de 31 ans, le 10 juin 1906, du mal qui a déjà frappé sa sœur Marie, après avoir eu trois enfants avec Armand :
Au décès de leur mère, les enfants sont placés avec leur demi-frère Ernest en diverses familles.
On possède, comme pour sa sœur Marie, une copie de l’inventaire après décès des biens de la communauté [16], comprenant la liste fidèle et la description exacte de tous les meubles, habits, linge, argent comptant, titres et papiers que possédaient conjointement Olympe RENAULT et Armand BERTIN.
On possède également copie de la quittance du compte de tutelle par Emile COLLEU à Armand BERTIN [17].
Après le décès d’Olympe, Armand BERTIN se trouve veuf pour la deuxième fois. Il se marie alors à Victorine BLANCHARD dont il aura quatre enfants : Jean, Denyse, Emile (qui épousera une fille Saindrenan), et Madeleine (épouse Rouget) qui aura une fille.
Les enfants d’Olympe Renault.
Pierre BERTIN se marie à Jeanne VOIGNIER. Très vite, celle-ci montre une fragilité psychique qui se développe peu à peu. Finalement, Pierre devra se résoudre à faire interner sa femme en hôpital psychiatrique, d’où elle ne sortira pas. Après avoir habité Paris, où Jean RENAULT (notre père) lui rend visite le dimanche lorsqu’il est étudiant au Lycée St-Louis, il réside à Vincennes.
Il travaille à Paris, où il est comptable dans une société pétrolière. Très apprécié de son milieu professionnel, il sera sollicité lorsque sa société se scindera à l’époque de l’indépendance de certains pays africains en mettant en place un protocole comptable de partage des biens [18].
Pierre BERTIN et Jeanne VOIGNIER ont une fille, Andrée BERTIN, dont Jean RENAULT sera le parrain. Celle-ci se mariera à Gabriel MEURTIN, préparateur en pharmacie, dont elle aura deux enfants, Michel et Evelyne. Andrée BERTIN, son mari et ses enfants vivent aujourd’hui dans la région d’Argelès-Gazost et de Lourdes (Hautes-Pyrénées).
Armand BERTIN « fils » fera une carrière militaire. Nommé caporal le 16 juillet 1921, puis sergent le 16 mars 1922 à la 1ère compagnie du 29ème régiment de tirailleurs algériens (matricule n°3452), il quitte l’armée en 1923 en bénéficiant d’un certificat de bonne conduite.
Il choisit, quatre ans après, de renouveler son engagement. Cette décision dramatique entraînera sa mort.
Affecté le 1er juillet 1926 au 22ème régiment colonial, il part alors pour la Chine avec le 100ème bataillon de marche. Là-bas, sa santé est durement éprouvée, et il doit être hospitalisé à quatre reprises. Puis Armand sert au Tonkin de janvier à juillet 1929.
Après un bref retour en métropole, il est affecté en Afrique Equatoriale Française comme agent sanitaire au secteur de prophylaxie contre la trypanosémiase de la Haute Shanga à Nola. Il se donne à sa nouvelle fonction dans les conditions climatiques épuisantes de la forêt humide équatoriale. N’ayant pas une résistance physique à toute épreuve, il contracte finalement une maladie infectieuse qui le frappe mortellement. Armand BERTIN décèdera le 9 juin 1933.
« Ce sont beaucoup de tombes semblables à celles-ci, éparses à travers les vastes étendues de notre domaine colonial tant envié, qui ont contribué et contribueront à faire une terre vraiment française des vastes territoires dont certains à peine sortis du stade de la barbarie », déclarait le capitaine Gauthe, commandant le dépôt de transition de l’AEF à l’occasion des obsèques d’Armand BERTIN [19]. Il se devait d’ajouter : « Ce sont de multiples sacrifices semblables à ceux du sergent chef BERTIN qui ont ouvert et ouvrent chaque jour ces terres pleines de promesses à l’effort fructueux des commerçants, colons et industriels, effort qui sera peut-être, dans un avenir plus ou moins éloigné, un des facteurs dominants de notre relèvement national. ».
On sait ce qu’il advint, dans un avenir « plus ou moins éloigné », de l’Afrique Equatoriale Française et des autres colonies.
En attendant, la politique coloniale de la France laissait dans le bourg de St-Glen une veuve et un orphelin de cinq ans, comme elle laissait un peu partout en métropole, depuis des décennies, des milliers de veuves et des milliers d’orphelins.
· Francis BERTIN (1903- ).
Francis BERTIN se mariera à Elyse BERTHELEU. Il vivra à Lamballe, où il inhumé.
Nous lui devons de très nombreux témoignages de l’histoire de la famille Renault, notamment en 1982. Sa mémoire et sa bonne connaissance des souvenirs de la famille de Joseph RENAULT ont été une aide précieuse et déterminante dans la rédaction du présent chapitre.
■ Eugène RENAULT (1864-1873)
Né le 27 avril 1864, Eugène est le deuxième enfant de Joseph RENAULT et d'Azeline LE BLAIN.
Il est décédé le 17 janvier 1873 au Gouray, à l'âge de 9 ans.
■ Victor RENAULT (1866-1922), le marin de la « Royale ».
Né le 24 novembre 1866 au bourg du Gouray, Victor RENAULT va surtout connaître une vie de marin. Après une enfance passée auprès de sa famille, il gagne la Marine de Guerre, la « Royale », peut-être influencé par les récits militaires paternels et probablement attiré par l'Etat-employeur qui recrute massivement en cette période de forte activité militaire et de conquêtes coloniales. Il y gravira plusieurs degrés et sera nommé quartier-maître puis second-maître de timonerie.
Cette carrière lui donnera l’occasion de sillonner toutes les mers du monde. En 1901, il embarque sur le croiseur Protêt et fait le tour du globe. Le 27 avril, il quitte Papeete pour les îles Galapagos et Panama. Arrivé dans ce port le 21 mai, il en repart le 20 juin et atteint Callao (Pérou) le 1er juillet.
On possède trois fascicules constituant ses états de service [20], ainsi qu’un cours d’astronomie, d’Edmond Dubois, lui ayant appartenu en 1893 alors qu’il était quartier-maître à bord du Trident.
Vers 1905 ou 1906, Victor s’installe à Alger. Travaillant toujours à la Marine, il semble qu’il ne reprendra plus la mer.
Le 27 juin 1906, il épouse une jeune femme du Gouray, Marie Josèphe BOYET. Le couple n’aura pas d’enfants. Eloignée de sa famille, en proie à l’isolement et à la solitude dans cette capitale algérienne qui lui est étrangère, sa femme s’enfonce peu à peu dans la dépression. Victor trouve un jour sa jeune épouse pendue dans leur appartement algérois.
Le 21 juin 1911 naît leur fille unique Gilberte RENAULT (notre future « tante Gilberte »).
Il semble qu’il ne soit revenu au Gouray qu’une seule fois après son mariage, un peu avant la guerre de 1914 [21].
Victor RENAULT décède à Alger le 13 janvier 1922, dans le quartier d'El Biar.
■ Alexandre RENAULT (1868-...), « l’oncle d’Amérique » banni de la famille.
Né le 7 septembre 1868 au bourg du Gouray, Alexandre a mené une existence particulière qui rendent difficiles les recherches à son sujet.
Les documents fiables le concernant sont rares, et les témoignages sont plus ou moins dignes de foi. Les histoires les plus diverses, parfois les plus invraisemblables, courent à son sujet sans qu’il soit toujours possible d’en connaître réellement l’exactitude.
Alexandre se rend en Amérique dès son jeune âge, tenté peut-être par une carrière maritime voisine de celle de son grand frère Victor. La destination exacte est inconnue, mais on pense qu’il s’agit des Antilles, du Honduras ou du sud des Etats-Unis. On sait seulement qu’il habitait à La Nouvelle Orléans en décembre 1887, comme l’atteste la seule lettre parvenue jusqu’à nos jours [22]. On trouvera plus loin des précisions sur la vie à La Nouvelle Orléans à cette époque.
A cette époque, Alexandre écrit alors régulièrement à sa famille, demande des nouvelles du pays et envisage de rentrer en Europe l’année suivante. Il se préoccupe d’une certaine Virginie qui ne répond plus à ses courriers.
Dépit amoureux ? Refus de faire son « congé » (service militaire) ? Cette dernière hypothèse est l’explication officielle de son refus final de rentrer en France [23]. Selon certains, il aurait été disposé à le faire, mais un peu plus tard.
Alexandre RENAULT est tiré au sort pour accomplir son service, mais exempté par le Conseil de révision en raison d'un frère réalisant lui-même son service [source : fiche service des armées, AD22].
Il accomplit une période d'instruction militaire au 71ème Régiment d'Infanterie du 4 novembre au 21 décembre 1889, mais se rend en Amérique et ne répond pas à sa convocation à sa période d'exercices. Il est alors déclaré insoumis le 24 novembre 1890.
La famille d’un vaillant militaire, pensionné de guerre de surcroît, ne peut accepter l’idée qu’un de ses fils soit un insoumis. Cette situation entraînera un arrêt définitif de toute correspondance entre Alexandre et ses parents.
Depuis 1888, le fil était coupé entre Alexandre Renault et sa famille. A partir de 1890, la rupture sera définitive.
Sa mère Azeline lui a fait savoir que s’il ne rentrait pas rapidement pour respecter ses obligations, elle ne lui adresserait plus aucune lettre. D’un caractère bien trempé, elle mît sa menace à exécution et toute correspondance cessa définitivement entre Alexandre et sa famille.
Rayé des rôles de l'insoumission, il est de nouveau déclaré insoumis le 21 janvier 1909. Convoqué à se présenter aux autorités militaires durant la guerre, son absence conduit à le déclarer de nouveau insoumis le 19 mars 1917. Atteint par la prescription, Alexandre voit son insoumission définitivement levée le 7 septembre 1921.
A l'âge de vingt ans seulement, Alexandre profite de la mobilité d’un jeune homme qui a traversé l’océan pour découvrir le nouveau monde. Il ne reviendra jamais en France.
Ce fil rompu, qui saura aujourd’hui le renouer, alors que quelques tentatives plus anciennes, plus proches de la période considérée ont échoué [24] ?
Son frère Victor prétendait avoir retrouvé sa trace au Honduras. Etant de passage à Puerto Cortès (Perto Pertès, selon Gilberte Renault, port américain qui ne semble toutefois pas exister), à bord d’un navire de la "Royale", Victor fait le vaguemestre et va chercher le courrier de l’équipage à la poste de ce port d’Amérique Centrale.
« Victor Renault ? C’est amusant, vous portez le même nom de famille que notre maire ! », lui lance le préposé.
« Votre maire s’appelle Renault ? Mais quel est donc son prénom ? »
« Il s’appelle Alexandre. Alexandre Renault. Pourquoi ? Vous le connaissez ? ».
Las, le maire est en déplacement et il n’est pas question de pouvoir lui rendre visite. Quant au navire français, il appareille le lendemain...
De cette chronique d’un rendez-vous manqué, on retiendra surtout que l’espoir de retrouver le frère prodigue existe encore bel et bien alors, en dépit de la colère des parents. Quant à la réalité des faits, elle est d’autant moins établie que le Protêt, ce cuirassé à bord duquel Victor fit le tour du monde en 1901, fit bien escale dans certains ports sud-américains tels que Panama, Callao au Pérou, Iquique et Coquimbo au Chili, mais apparemment pas à Puerto Cortès.
A défaut de n’avoir peut-être pas retrouvé en lui le maire d’une ville du Honduras, on crut découvrir en Alexandre un officier de l’armée américaine. Etonnant retournement de situation, de la part d’un jeune qui n’avait pas daigné revenir au pays par mépris supposé de la fonction militaire...
Les faits se déroulent en effet durant la guerre 14-18, après l’arrivée des régiments de volontaires américains. Ces troupes sont débarquées à Brest et dans quelques autres ports de l’ouest, pour venir en aide aux forces alliées. Elles sillonnent les routes bretonnes.
Un cultivateur et sa famille travaillent dans les champs, non loin du bourg du Gouray. Soudain, un véhicule américain s’arrête à leur niveau. Le chauffeur demande sa direction. Réalisant où il se trouve, un officier présent dans le convoi entreprend à son tour le cultivateur en utilisant à la perfection le parler du Gouray, son accent et son vocabulaire. Il souhaite prendre des nouvelles de la famille Renault.
Les parents sont décédés, lui est-il répondu, et plus aucun frère ni sœur ne vit dans l’ancienne maison familiale. Seule Angèle habite encore au Gouray, mariée depuis peu à Célestin Beaussault.
Il se fait tard et l’armée américaine n’attend pas : après un dernier salut au paysan qui lui promet de le transmettre aux anciens amis, notre officier quitte les lieux. On ne le reverra pas [25].
Vraie ou fausse, cette anecdote nous rappelle que l’aventure d’Alexandre avait rendu ce dernier célèbre au point que près de trente ans après son départ, il alimentait de vives discussions dans son village natal. Faisons confiance à ses habitants pour nourrir ainsi un peu plus la légende dorée de leur commune, « la seule commune où fleurit le charbon de bois » selon Jean-Baptiste RENAULT qui, lui-même natif du Gouray, savait de quoi il parlait.
■ Emile RENAULT (1870-1889), le jeune marin.
Né le 25 mai 1870, Emile épouse lui aussi la carrière de marin, qui le conduit un peu partout à travers le monde et les colonies françaises.
De retour d’une mission en Afrique, le bâtiment d’Emile fait escale à St-Louis-du-Sénégal avant de regagner la métropole. On y accueille des religieux français qui rentrent eux aussi au pays. Nul ne sait alors qu’ils sont porteurs d’un terrible fléau.
C’est ainsi qu’Emile RENAULT contracte la fièvre jaune, grave fléau endémique des zones tropicales qui fait aussi des incursions dans les régions plus tempérées : 13 000 morts en 1878 dans la vallée du Mississipi, 10 000 à Barcelone en 1821.
Emile mourra quelques mois plus tard, le 12 avril 1889, dans les pires souffrances à l’âge de dix-neuf ans, probablement entouré des siens à la ferme du Grand Clos.
■ Angèle RENAULT (1872-1954).
Née le 15 mai 1872, Angèle est la seule des neuf enfants à être restée toute sa vie dans sa commune natale.
Elle épouse Célestin BEAUSSAUT, né le 7 avril 1880 à Plénée-Jugon, commerçant au Gouray, qui porte le surnom peu flatteur de « Vispille » [26].
Le couple vit dans une maison, encore visible de nos jours, située sur la route de Lamballe.
Angèle a un seul enfant, prénommé Edouard. Ce dernier se mariera à Marie-Louise BIZEUL, originaire de Langourla, et aura deux fils prénommés Jean et Edouard.
Elle décèdera le 13 juin 1954. Son petit-fils Jean BEAUSSAUT, décédé en 2019, fera carrière au Ministère de l'Intérieur, puis résidera à Dinan avec sa femme Denise DUBUC.
■ Jean-Baptiste RENAULT (1880-1962), l’instituteur.
Né en 1880, Jean-Baptiste (notre grand-père) est l’avant-dernier enfant de Joseph. Mais sa sœur cadette étant décédée en bas âge, il peut être considéré comme le dernier des enfants. La famille est nombreuse, et même si plusieurs frères et soeurs ont déjà une situation, on se demande quel emploi on peut raisonnablement envisager pour cet ultime enfant. L’histoire de notre grand-père Jean-Baptiste fait l’objet d’un chapitre ultérieur.
■ Césarine RENAULT (1882-1884).
Césarine est le neuvième et dernier enfant de Joseph RENAUD et Azeline LE BLAIN. Née le 16 juillet 1882, elle décède le 8 février 1884 à l’âge de dix-huit mois.
[1] Actes d’état-civil de la commune du Gouray, mariages, 1887. On y découvre qu’Azeline LE BLAIN sait signer, ce que ne sait pas faire Joseph RENAUD.
[2] Source : Quittance de compte de tutelle par Emile Colleu à Armand Bertin, acte notarié (Arch. JMR).
[3] Actes d’état-civil de la commune du Gouray, mariages, 1895.
[4] Etranger à la région (mot gallo).
[5] Précision orale souvent utilisée afin d’éviter toute confusion avec son fils Armand .
[6] Source : Francis BERTIN, 2 août 1982.
[7] Actes d’état-civil de la commune de St-Glen, naissances, 1897.
[9] Source : Francis BERTIN, 2 août 1982.
[10] Source : Jean RENAULT. Les photographies ne le confirment pas.
[11] Source : Jean RENAULT.
[12] Source : Jean RENAULT.
[13] Acte notarié en date du 22 juin 1897 (Arch. JMR).
[14] Source : Francis BERTIN, 2 août 1982.
[15] Armand « fils ».
[16] Inventaire dressé le 18 août 1906 par Me Martin, notaire à St-Glen (arch. JMR).
[17] Acte de Me Alberge, notaire à St-Glen, en date du 19 juillet 1908.
[18] Témoignage écrit de Marie Le Baill.
[19] Arch. JMR, copie transmise par Francis BERTIN.
[20] Ach. JMR., remis par sa fille Gilberte.
[21] Source : Francis BERTIN, 2 août 1982. C’est à cette seule occasion que Francis BERTIN a pu rencontrer son oncle.
[22] La liste des immigrants débarqués à la Nouvelle Orléans peut être consultée à la National Archives Microfilm Publication, index T 527 (années 1853 à 1899). Elle est constituée de 32 microfilms. Pour les noms de Ragg à Rol, il s’agit du n°0543427. Les données comportent nom, prénom, activité, nationalité, dernière résidence, date et lieu d’arrivée, nom du paquebot. Source : http://www.jewishgen.org/infofiles/passlistes/Neworleans.html
[23] C’est d’ailleurs le seul motif connu. Source : Jean RENAULT, confirmé par Francis BERTIN.
[24] Jean RENAULT entame les premières recherches dans un courrier expédié le 18 juin 1928 auprès du American Consular Service à Paris. Ce dernier se déclare incompétent et lui suggère alors de se mettre en relation avec le Consul de France à New Orleans. (Arch.JMR).
[25] Source : Jean RENAULT, confirmé par Francis BERTIN.
[26] Mot gallo signifiant « Vipère ».
Mise à jour : décembre 2020