Vivre à Goudelin en 1800.

 

A cette époque, personne dans la famille ne sait lire et écrire, pas même signer son nom.

 

Le breton est la seule langue connue, alors que la frontière linguistique se trouve à quelques kilomètres seulement.

 

La campagne est très peuplée, mais aussi extrêmement pauvre. Goudelin compte environ 2200 âmes (1200 aujourd'hui). Le deuxième dimanche de juillet, un célèbre pardon se déroule en la chapelle de l'Isle [1].

 

Le surprenant pardon d’Intron Varia-’n-Enez.[2]

 

Si la mémoire locale a conservé le souvenir d'un recteur blanc et d'un recteur noir gouvernant ensemble la paroisse, en réalité l'un administrait l'église St-Pierre de Goudelin tandis que l'autre s'occupait de la chapelle N.D. de l'Isle.

Cette dernière fut vendue à la Révolution puis donnée par ses acquéreurs à la fabrique de Goudelin. Elle fut soigneusement restaurée.

Le pardon se déroule dans cette chapelle où l'on vénère à la fois Marie et St-Eloi, d'où une multitude de chevaux que l'on y apporte de toutes parts. La procession part le samedi soir vers 8 heures de l'église paroissiale : nombreuses bannières (N.D., St Pierre, St Eloi, St Isidore) et statues portées au son des tambours et des clairons pendant que les enfants portent des oriflammes. Les premières vêpres débutent dès l'arrivée à la chapelle. Celle-ci est ornée de mousses et de fleurs pendant des ogives, débordant des chapitaux des colonnes et alternant avec les lustres.

Il fait déjà nuit quand l'office touche à sa fin. Toute l'assemblée ressort alors, un cierge à la main et se dirige lentement vers un bûcher monté à quelque distance sous le clocher. De ce dernier descend alors un ange, portant un cierge. Le président de la fête l'allume, en même temps que le bûcher, puis l'ange remonte alors avec son cierge allumé « remportant dans la tour la lumière mystérieuse qu'il a bien voulu communiquer aux hommes ».

Alors éclate le Te Deum dans la tiède obscurité de la nuit, à la lueur du bûcher qui s'embrase. La procession reprend lentement la direction du bourg de Goudelin. Sur le chemin, chaque maison jusqu'à la plus modeste cabane est illuminée à l'aide de lanternes vénitiennes et de lampions variés. Le samedi soir, très peu de pèlerins viennent d'autres communes.

 

Le lendemain en revanche, une foule importante venant de toute la région afflue dès 6 heures du matin. Le bourg est rempli de chevaux, de même que les abords de la chapelle et le chemin qui y mène. Ils sont en général menés par des jeunes gens qui peuvent venir de dix lieues. Ceux-ci les conduisent près de la chapelle et les font traverser trois fois un petit bassin. Cela étant fait, ils attachent leur monture, entrent dans la chapelle un fouet autour du cou, font leur dévotion et remettent leur offrande. Les trésoriers leur répondent alors : « Intron Varia d'ho peo ! Sant Eler d'ho peo ! »

 

A dix heures, un cortège solennel quitte l'église paroissiale et se rend à la messe qui sera donnée dans la chapelle de l'Isle. De nombreux étrangers l'accompagnent sur le chemin, tandis que retentit la musique du petit séminaire de Tréguier. Les couleurs de riches bannières, des étendards et des guidons, des banderoles et des gonfanons ornés de devises se jouent dans le feuillage des arbres. A l'office du matin font suite les vêpres de l'après midi. En fin de journée, tout l'assemblée retourne à l'église paroissiale et la foule se disperse peu à peu.

 

La vieille tour féodale de Coatmen. 

 

L’ombre des seigneurs de Coatmen plane depuis des siècles sur tout le Goëlo, et leur disparition a laissé place aux menaçantes ruines qui dominent la vallée du Leff.

 

L’ancien château, situé sur l’actuelle commune de Tréméven, a croulé dans le ravin au XVème siècle, et il n’en subsiste aujourd’hui qu’une imposante tourelle, souvenir d’une des neuf plus grandes baronnies de la Bretagne ducale.

 

Avec sa silhouette découpée à la hache, dans le silence des lieux brièvement troublés de nuit par des chouettes qui y ont trouvé refuge, sur le léger fond sonore du Leff qui coule en contrebas en charriant tant de souvenirs, la vieille tour de Coatmen surveille toujours activement les environs.

 

Dans ses entrailles, ne vous égarez pas dans le souterrain qui reliait la place forte au manoir de Ponduonec. Aucun vivant n’oserait s’y aventurer, aucun curieux n’est revenu d’une telle visite et le passage est depuis longtemps réservé aux lentes processions des morts.

 

Certaines nuits, vous aurez le privilège d’apercevoir quelques fées. Leurs richesses et leur trésor sont alors étalés sur la prairie, brillant au clair de lune, et vous pourrez vous les approprier si, par chance, vous jetez dessus un chapelet ou tout autre objet bénit.

Le malheur a voulu que, depuis l’origine, nul voyageur de la nuit ne possédât sur lui un tel objet.

 

D’autres nuits, vous verrez les anciens maîtres des lieux, tout en armes, errer dans les coursives. Ils marchent lentement et, transparents, laissent passer à travers eux les rayons de la lune et le scintillement des étoiles.

 

 



[1] GIRARD, La Bretagne maritime, Rochefort 1889.

[2] Adapté d'après GUILLOTIN DE COURSON , La Chapelle et le pardon de Notre-Dame de l'Isle en Goudelin in Récits de Bretagne, 1ère série, tome I pp.123-133, Rennes 1883. A noter que l'abbé Jean-Marie PERROT signale également le culte de Marie dans son ouvrage Bué ar Zent, pp.915-916 (Itron Varia an Enez en parrouz Goudelin).

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2024

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