Delphine MORLAIS épouse LE GALL

 

 

Delphine MORLAIS

épouse LE GALL
(1889-1945)

 

 

 

 

 

Les origines familiales : Pierre et Joseph, les frères boulangers de Guingamp et de Brest.

 

Nous sommes vers 1840. Pierre MORLAIS a environ 27 ans lorsqu'il quitte la ferme du Cas-Rouge en St-Gilles (Ille-et-Vilaine) où il est né en 1813, pour s'installer boulanger à Guingamp (Côtes-du-Nord). Il a fui une ferme surpeuplée, sur laquelle il n'avait aucune prétention en tant que troisième enfant.

 

Les raisons du choix de cette ville restent inconnues. C'est rue St-Yves à Guingamp que Pierre installe sa boulangerie, à l'origine de la famille des "boulangers MORLAIS de Guingamp".

 

Le frère de Pierre, Joseph MORLAIS, né au Cas-Rouge en 1828, avait quant à lui choisi le même métier de boulanger mais avait poussé l'aventure un peu plus loin pour s'installer à Brest et fonder la famille du "boulanger MORLAIS de Brest" d'où descendra Marie LE BAILL en 1918.

 

Pierre MORLAIS, le "boulanger de Guingamp", épouse Marie LE BAIL (simple homonymie avec Marie LE BAILL, née à Brest en 1918) en 1841, dont il aura sept enfants. Au décès de sa femme, il se remarie en 1862 avec Vincente MOIGNET, issue elle-même d'une famille de boulangers. Le couple aura quatre enfants, dont Edouard MORLAIS qui naît en 1866.

 

Les familles de boulangers "de Guingamp" et "de Brest" continuent quelques temps à se fréquenter. En 1866 par exemple, Caroline MORLAIS, fille de Pierre et de Marie LE BAIL, habite à Brest où elle est boulangère. Son oncle Joseph est témoin de son mariage qui a lieu à Brest.

Mais, les années passant, les liens entre cousins se délitent peu à peu. Il semble que les enfants et petits-enfants de Joseph, constituant la branche brestoise des MORLAIS, n'aient pas clairement su que des cousins proches vivaient ou avaient vécu à Guingamp. Ceci explique pourquoi l'existence des "boulangers de Guingamp" ait été ignorée par les générations natives de Brest. De plus, Pierre décède en 1880 et Joseph n'a que peu de raisons d'alimenter des relations avec des cousins qu'il connaît sans doute assez peu.

 

Il n'est donc pas surprenant qu'aucun parent proche (Charles MORLAIS, sa fille Marie MORLAIS, sa petite-fille Marie LE BAILL épouse RENAULT) n'ait évoqué ni même connu la vie de Delphine MORLAIS, la guingampaise.

 

Contrairement à la branche brestoise, dont seul Joseph MORLAIS est boulanger avant de faire faillite en 1873, ce métier constitue une petite dynastie au sein de la branche guingampaise : outre Pierre, le père arrivé du bassin de Rennes, on trouve ses enfants Marie Caroline (boulangère à Brest), Charles (boulanger à Guingamp puis à Bourbriac), Guillaume (boulanger à Guingamp), Edouard (boulanger à Guingamp) et Jean Marie (boulanger à Guingamp).

 

A en juger par le métier de très nombreux témoins de naissance, de mariage ou de décès, la famille MORLAIS étend largement ses relations au réseau des boulangeries de la ville.

 

 

Une jeunesse guingampaise.

 

Edouard MORLAIS, fils de Pierre, est parfois qualifié de garçon-boulanger ou de fournier. Il se marie en 1887 avec Jeanne Caroline JOUANNARD, dont il aura cinq enfants : Jeanne, Delphine, Edouard, Pierre Gustave et Pierre Ange.

 

Delphine MORLAIS naît ainsi à Guingamp le 3 juillet 1889.

 

Elle passe son enfance au sein de la boulangerie familiale, et devient couturière. Jusqu'à l'âge de 21 ans, elle habite chez ses parents 23 rue de la Madeleine à Guingamp en compagnie de ses frères Edouard et Pierre, et de son oncle Arthur Jouannard [cf. recensement Guingamp 1911, AD22].

 

Elle se marie le 24 avril 1911 avec Auguste LE GALL, un jeune forgeron qui habite non loin, 3 rue Faven, avec sa sœur Maria, couturière comme Delphine. Le jeune couple choisit d'habiter là.

 

Deux ans plus tard, Auguste et Delphine ont un premier enfant, hélas mort-né, en 1913.

 

La guerre éclate en août 1914. Dès les premiers jours du conflit, Auguste LE GALL est mobilisé en tant que canonnier dans le 110ème Régiment d'Artillerie Lourde Hippomobile. Quelques rares permissions le font revenir brièvement à Guingamp, loin des tumultes et du vacarme meurtrier du front.

 

En 1917, alors qu'il est reparti au front après une dernière permission, naît sa fille Marie Augustine qui ne vivra que 24 heures. Son père, dont elle porte le prénom, n'aura pas le temps de la voir. Un mois après, il revient à Guingamp pour y mourir à l'hôpital général de ses blessures de guerre.

 

A 26 ans, Delphine MORLAIS a perdu son mari et ses deux enfants. Son père meurt à son tour cinq ans plus tard.

 

Dès la fin de la guerre, Delphine quitte son logement de la rue Faven où elle se trouve désormais seule, et part habiter au 70 rue de la Madeleine, non loin du domicile de ses parents et de ses frères qui habitent toujours au 23 de la rue et qui y resteront après le décès de leur père Edouard en 1922.

 

Le domicile du 70 de l'époque ne correspond pas à la maison du 70 actuel, d'ailleurs située dans la commune de Grâces, mais à celle du 64 actuel en raison d'une renumérotation de la rue survenue probablement dans les années 1970 [témoignage oral, juillet 2024 : Stéphane Brient et Marie-France Bélégaud].

 

Le domicile de Delphine LE GALL-MORLAIS,

anciennement 70 rue de la Madeleine.

 

Parmi les frères et sœurs de Delphine, sa sœur aînée Jeanne née en 1888 se marie en 1910 avec Eugène Guérin, chauffeur originaire d'Ille-et-Vilaine, et n'habite plus le domicile parental.

Elle décède probablement avant 1946, étant absente de la requête de la même année adressée par ses frères et sa fille au tribunal civil de Guingamp visant à déclarer sa sœur Delphine décédée judiciairement.

Leur fille Jeanne Guérin, née en 1916, habitera à Lécousse, 5 rue Mozart près de Fougères (Ille-et-Vilaine) et décèdera en 1998 à l'hôpital de St-Hilaire-du-Harcouët.

 

Son frère Edouard, né en 1892, habite toujours chez sa mère en 1936. Il est ouvrier ajusteur chez Yves Offret, une entreprise de métallerie et serrurerie située à Ploumagoar. 

Edouard "fils" a hésité à choisir un métier. A 21 ans, il est engagé volontaire puis est mobilisé en 1914 et affecté à l'artillerie coloniale. Il passera l'essentiel de la guerre 14-18 à combattre en Indochine. C'est sans doute pour cette raison que des témoins actuels se souviennent qu'il  évoquait encore souvent, dans les années 1950, sa "guerre du Tonkin" qui avait dû le marquer fortement [Gérard Pichouron, témoignage oral, avril 2024].

 

Rappelé à l'active en septembre 1939, Edouard Morlais est mis en réserve en janvier 1940 et renvoyé dans ses foyers 23 rue de la Madeleine. Il est affecté jusqu'à l'armistice de juin 40 chez son propre employeur.

 

Delphine eut enfin deux frères prénommés Pierre. Si le premier (1898-1903) mourut en bas-âge, le second (1904-1976) habita chez sa mère avec son frère Edouard jusqu'au milieu des années 30. Il se maria en 1935 près de Caen où il habita jusqu'à son décès.

 

Delphine quitte son métier de couturière et s'installe commerçante au début des années 1920, activité qu'elle conservera jusqu'en 1943. Elle vit assez modestement de son commerce de marchande foraine.

 

Au décès de leur mère Jeanne JOUANNARD en janvier 1937, Edouard rejoint le domicile de sa sœur au 70 de la rue de la Madeleine [adresse figurant en 1944 sur un formulaire de demande de renseignement renseigné par Edouard au sujet de sa sœur, arch. SHD Caen]. 

 

L'activité professionnelle de Delphine lui fait rencontrer un public plus nombreux et plus diversifié que son premier métier de couturière.

 

 

 

Les années 30 et l'engagement politique.

 

C'est probablement à l'occasion de ses nombreux échanges que Delphine s'engage politiquement, sans que l'on sache encore précisément la nature de son militantisme jusqu'à la Seconde Guerre Mondiale, au sein ou proche du parti communiste. 

 

Elle est engagée dans la résistance et milite au sein du PC clandestin des Côtes-du-Nord après l'interdiction de ce parti en septembre 1939, consécutive à la signature du pacte germano-soviétique.

 

Il est confirmé que sa maison servit à plusieurs reprises de planque pour des résistants communistes de passage.

 

Proche de la militante Marie FOLLEZOU, cheville ouvrière du parti communiste clandestin à Guingamp, qu'elle dit "connaitre depuis toujours" car son garage se situe près de chez sa mère [déposition du 22 août 1943 dans les locaux de police de St-Brieuc], elle hébergea à cinq ou six reprises à partir de juillet 1942 le résistant Jean JOUNEAU dit "Antoine", cheminot rennais, responsable politique régional du parti communiste des Côtes-du-Nord.

 

Fin 1942, elle héberge pour une nuit Denise GINOLIN née REYDET dite "Odette", responsable interrégionale aux femmes et future députée communiste de Paris après la Libération, ainsi que "André" qui succédait à "Antoine". Ce dernier est abattu en janvier 1943 à Ploufragan.

 

"André" est remplacé à son tour par Louis PICHOURON dit "Maurice" dans la fonction de responsable régional du parti communiste, qui sera hébergé par Delphine fin février 1943.

 

Enfin, elle héberge une fois en avril 1943 Charles MAHE dit "Max", qui s'avère être le responsable interrégional aux cadres du parti.

 

Elle fait la connaissance de Léontine LE GALL, fermière à Plouisy qui livrait son lait à Guingamp et dont elle devient une amie proche. Avec elle et de nombreux autres militants, elle contribue à reconstituer peu a peu les bases d'un PC clandestin.

 

 

La rafle d'août 1943.

 

Le régime de Vichy livre à cette époque une lutte sans merci contre les communistes, qualifiés de terroristes.

 

Après la trahison de Léon RENARD, chef du réseau communiste des Côtes-du-Nord jusqu'en 1942, puis responsable du réseau de la Loire-Inférieure, arrêté le 10 juillet 1943 à la gare de Chantenay (Nantes), une vaste opération d'arrestations s'abat sur le Trégor et notamment à Guingamp et ses environs durant le mois d'août de cette année.

 

Après deux premières arrestations le 5 août (Simone BASTIEN et Marie CALVARIN), six résistants sont arrêtés le lendemain 6 août à Guingamp par la SPAC (Section de Police Anti-Communiste, dépendant du Secrétariat Général pour la Police) : Yves OFFRET et sa femme Odette GUYOMARD à leur domicile 32 rue de la Madeleine, Isabelle LORGERE rue de l'Yser, Marcel MOISAN rue Saint-Sébastien, et enfin Delphine LE GALL (MORLAIS) à son domicile 70 rue de la Madeleine.

 

Il est probable qu'Edouard MORLAIS, frère de Delphine habitant avec elle, est également arrêté. Certaines sources indiquent en effet qu'un certain "Edmond MORLAIS", serrurier à Guingamp, est également arrêté, puis relâché par la police. Il s'agit plus probablement d'Edouard, qui continua à habiter à Guingamp après l'arrestation de sa sœur.

 

La SPAC poursuit rapidement son opération grâce aux renseignements précis fournis par Léon RENARD.

Quatre arrestations ont lieu à St-Brieuc le 7 août, puis huit à St-Brieuc, Lézardrieux, Plouguiel et Tréguier le 8 août, trois à Kergrist-Moëlou, Rostrenen et Mael-Carhaix le 9, deux arrestations le 10 à Guingamp et Plouisy (dont celle de Léontine LE GALL), six arrestations le 11, une à Guingamp le 15 août, une le 19 à Grâces, deux le 20, trois le 25 août, une le 1er septembre à Mellionnec.

 

Le réseau clandestin de Guingamp et de sa région est ainsi anéanti en un mois. [cf. http://infos.service.free.fr/anacrlannion/a-arrestations-operations-de-police-deportation-evasions/autres/Arrestations%20aout%201943.html]

 

Du 10 août au 15 août 1943, Delphine et ses amies sont détenues au commissariat de police de Saint Brieuc, rue Vicairie, ou elles subissent des interrogatoires très musclés.

 

Edouard MORLAIS est libéré faute de preuve d'une adhésion au PC clandestin ou d'une quelconque activité résistante.

 

"Les miliciens de la SPAC n'épargnaient personne", écrit Louis PICHOURON, qui poursuit : "Certaines femmes ou jeunes filles  furent torturées de façon odieuse". [in Mémoires d'un partisan breton, éd. Presses Universitaires de Bretagne, 1969]

 

A la suite de deux évasions, les locaux du commissariat sont jugés peu adaptés à la détention d'un groupe de 40 personnes, qui est alors transféré le 18 août dans la vaste maison Le Bras-Laplume, initialement réquisitionnée par les Allemands, située place du Théâtre (maison devenue ultérieurement le nouvel hôtel de police de la ville, aujourd'hui établissement d'hôtellerie privé), où les détenus sont maintenus jusque vers le 12 septembre.

 

Pour prévenir toute évasion ou tentative d'intrusion pour libérer les détenus, les issues sont barrées à l'aide de fil de fer barbelé et les volets des fenêtres sont cloués [lettre du commissaire de police de St-Brieuc au préfet des Côtes-du-Nord, 18 août 1943. Source : AD22, 1043W32]. De même, les consignes de surveillance des détenus et de contrôle des colis sont particulièrement rigoureuses.

 

C'est dans cet immeuble que Delphine, comme la plupart des codétenus, sera interrogée sans ménagement par la police française. Dans sa déposition du 22 août, elle reconnaît très bien connaître Marie FOLLEZOU et avoir hébergé chez elle les responsables régionaux communistes évoqués précédemment.

 

Les autorités allemandes suivent attentivement le déroulement de l'enquête. Début septembre, en raison d'un lien étroit établi par elles avec l'affaire PROVOST, elles informent le préfet des Côtes-du-Nord que les détenus de St-Brieuc relèvent désormais de la juridiction allemande, et devront être jugés par un tribunal allemand [Lettre du SS-Untersturmfürher HAMER au préfet des Côtes-du-Nord, 9 septembre 1943. Source : AD22, 1043W32].

 

Les détenus sont transférés à Rennes, où ils sont incarcérés du 12 septembre au 23 novembre 1943 à la prison Jacques Cartier, puis détenus jusqu'au 20 mars 1944 à la prison d'Angoulême, où les visites des familles sont admises.

S'agissant de Delphine, veuve, sans parents et sans enfants, cette disposition ne sera probablement que d'un faible réconfort. Peut-être son frère Edouard tentera-t-il de lui rendre visite, mais rien ne paraît l'indiquer.

 

La déportation à Ravensbrück.

 

C'est à Angoulême que les autorités françaises auraient remis les prisonnières [1], dont Delphine et son amie Léontine LE GALL, aux autorités allemandes qui les envoient d'abord au Fort de Romainville où elles sont internées du 20 mars au 18 avril 1944 [2].

[1] Cette information paraît cependant peu compatible avec le fait que l'occupant se soit saisi dès septembre 1943 de la question du jugement des détenus.

[2] Source : Alain PRIGENT, note sur Delphine MORLAIS (https://maitron.fr/spip.php?article137353).

 

En cette chaude journée du 18 avril, Delphine et ses nombreuses codétenues sont transférées à la gare de l'Est, où les attend un terrible convoi : elles sont 417 femmes sauvagement parquées dans les wagons à destination de Ravensbrück, où elles arrivent le 22 avril 1944, comme l'indique le registre des entrées au camp :

 

Extrait du registre des entrées du 22 avril 1944 au camp de Ravensbrück. Célestine LE GALL, matricule 35253 ; Delphine LE GALL, matricule 35254. Source : Arolsen Archives, 2147004-03_21_04_30_1944.

 

 

Le camp de Ravensbrück est principalement réservé aux femmes et aux enfants. Les détenues y sont soumises à un travail de production au profit de l'armée allemande. Lorsque l'état de santé d'une détenue ne lui permet plus de produire suffisamment, celle-ci est alors détenue dans un block où le travail est réputé moins exigeant, au prix d'une ration alimentaire diminuée.

 

C'est ainsi que Delphine LE GALL-MORLAIS (matricule 35234) et son amie Léontine LE GALL (matricule 35233) sont affectées au "block des tricoteuses". [Source orale : Maryse LE GALL, petite-fille de Léontine, mai 2023].

Dans son témoignage, Denise LE GRAËT, résistante native de Bourbriac, également déportée à Ravensbrück (matricule 69845), confirme que la baraque voisine de la sienne était celle des "tricoteuses". Elle a été autorisée une fois à s'y rendre : "Les femmes d'un certain âge y étaient regroupées pour tricoter des chaussettes pour l'armée allemande. Deux femmes de Guingamp, Madame Le Gall toutes les deux mais sans aucun lien de parenté, s'y trouvaient. Malheureusement elles ne sont jamais revenues".  [Témoignage de Denise Le Graët, sa guerre, sa déportation, in Revue d'histoire et d'archéologie des cantons d'Argoat, propos recueillis par J.P. Rolland, Bourbriac 2015].

 

Auparavant, Delphine aurait été affectée aux travaux de terrassement puis mise à la disposition de l'entreprise Siemens qui disposait de locaux à proximité immédiate du camp. [Source : M.-P. et P. KLEIN, Les déportés des Côtes-du-Nord, livre mémorial, 2007].

 

En janvier 1945, on estime à environ 50 000 le nombre de femmes et enfants détenus à Ravensbrück, nombre qui se trouve alors à son niveau le plus haut. Cette surpopulation, doublée d'une mauvaise hygiène, entraîna une épidémie de typhus qui se répandit dans tout le camp.

Le camp est commandé par le sinistre officier SS Fritz SURHEN, personnage particulièrement cruel qui sera condamné à mort et exécuté en 1950.

 

Ravensbrück aura été le plus grand camp de concentration pour femmes de l'histoire du IIIème Reich, et le second camp par la taille après Auschwitz-Birkenau.

 

Le 19 février 1945, alors que Guingamp est déjà libérée depuis six mois et que les Alliés occidentaux et soviétiques convergent le plus rapidement possible vers Berlin, Delphine LE GALL-MORLAIS est conduite vers le Mittwerda, ce "camp de repos" inventé par les SS et qui n'est autre que le nom de code de la chambre à gaz du camp [Source : liste des morts "Mittwerda" établie par Germaine Tillion, Musée de la Résistance de Besançon]. Delphine y est assassinée par gazage. Elle a cinquante-six ans.

 

Son corps, ainsi que celui de plusieurs de codétenues, dont Léontine LE GALL, est incinéré et ses cendres sont dispersées dans les eaux du Schwedtsee.

 

Le camp sera libéré les 29 et 30 avril 1945 par les troupes soviétiques dans leur route vers Berlin.

Sur les onze femmes déportées du réseau clandestin de Guingamp, huit seront ainsi libérées. Pour les trois autres, le pire a déjà été commis : Léontine LE GALL, Francine LE BRAS et Delphine LE GALL-MORLAIS ne reverront jamais Guingamp. 

 

Le camp de Ravensbrück, été 1945

(photo Lysenko, arch. d'Etat de la Fédération de Russie)

 

  

Léon RENARD, qui avait trahi le réseau en fournissant à la police de Vichy les éléments détaillés nécessaires à ces arrestations, fut jugé et condamné le 11 juin 1946 par la Cour de Justice de Rennes  à la peine capitale.

Commuée plus tard en travaux forcés à perpétuité, cette peine fût finalement réduite à 15 ans. Il bénéficia en 1953 à sa demande d'une libération conditionnelle, et décéda à son domicile de Rennes le 24 décembre 1993. 

 

 

 

Jean-Marie RENAULT

8 mai 2023

 

 

 

 

 

Développer la mémoire de Delphine Le Gall-Morlais.

 

 

Après le 8 mai 1945, la famille de Delphine se trouve incomplète et dispersée, et il ne se trouvera que peu, voire pas, de membres de la famille Morlais pour se souvenir de Delphine et pour saluer la mémoire de cette résistante.

 

Sa mère, Jeanne JOUANARD, décédée en 1937, n'a pas été témoin de l'arrestation de sa fille.

 

 

Que sont devenus, depuis cette terrible journée d'août 1943, sa sœur Jeanne, ses frères Edouard et Pierre ?

 

Jeanne MORLAIS, née en 1888, s'est mariée à Guingamp en 1910, un an avant Delphine, avec Eugène GUERIN, originaire d'Ille-et-Vilaine, chauffeur de profession. Elle décède avant 1946.

Leur fille Jeanne GUERIN, née à Guingamp en 1916, se marie en 1937 à Laval (Mayenne) avec André RICHEFEU et décède en 1998 à St-Hilaire-du-Harcouët. Son mari décède à Montaudin (Mayenne) en 1999.

Il n'a pas été possible, à ce jour, de trouver une descendance actuelle.

 

Pierre MORLAIS, né en 1904, se marie en 1936 à Mondeville (Calvados) avec Marie LE GALL originaire de Plougastel-Daoulas. Il décède en 1976 à Colombelles (Calvados).

Malgré de nombreuses démarches, il n'a pas été davantage possible de trouver une descendance actuelle en dépit de présomptions.

 

Seul Edouard MORLAIS, ajusteur chez Gélard puis chez Offret, né en 1892, reste vivre à Guingamp. Resté célibataire, il réside avec sa mère 23 rue de la Madeleine.

 

Au décès de sa mère, Edouard vient habiter au 70 de cette rue, à l'adresse de Delphine, comme en témoigne la demande de renseignement sur sa sœur qu'il formule en octobre 1944, ainsi que le recensement de la population de 1946.

  

Demande de renseignement formulée en octobre 1944 par Edouard MORLAIS au sujet de sa sœur Delphine, détenue au bloc 5 du camp de concentration de Ravensbrück. Source : Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC), cote AC-27P-5238.

  

Edouard est décédé le 5 mars 1967 à l'hôpital de Guingamp situé en Pabu. Que sont devenus ses effets personnels, ainsi que ceux que devait posséder Delphine dans sa maison, devenue celle d'Edouard ? Un appel à témoins a été lancé en 2024, avec l'aide précieuse de la presse régionale (Le Télégramme, édition de Guingamp, 20 avril 2024). 

 

  

Une reconnaissance, enfin.

 

En novembre 1946, en l'absence de nouvelles de Delphine, ses frères Edouard et Pierre ainsi que sa nièce Jeanne Guérin sollicitent la reconnaissance de son décès auprès du tribunal de Guingamp. Leur requête est suivie favorablement par celui-ci, qui prononce judiciairement le 22 novembre 1946 le décès de Delphine MORLAIS et ordonne sa mention "dans l'acte le plus proche du 1er juillet 1946".

Pour une raison peu compréhensible et très préjudiciable, cette inscription ne sera pas réalisée et le décès de Delphine n'apparaîtra pas dans les registres d'Etat-civil de Guingamp : Delphine Le Gall-Morlais n'est donc pas même reconnue décédée…

 

Cette négligence se traduit jusqu'en 2011 par l'impossibilité matérielle d'obtenir, au profit de Delphine, une reconnaissance officielle des conditions dramatiques de son décès.

 

Il semble que la famille de Delphine n'ait pas donné de suite à cette lacune de l'Etat-civil.

 

Une nouvelle requête est initiée en 2011 par Pierre Klein, auteur du livre mémorial "Les Déportés des Côtes-du-Nord", visant à lui faire reconnaître le statut de déportée.

 

Cette nouvelle démarche auprès de l'autorité judiciaire, qui a pour objectif d'obtenir enfin la rédaction d'un acte de décès, a pour origine le réseau associatif mobilisé par la reconnaissance des anciens déportés, et notamment les Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD), dont la section des Côtes d'Armor est alors présidée par Pierre Klein.

 

C'est ainsi qu'en 2011, soit 66 ans après la mort de Delphine, le TGI de Saint-Brieuc ordonne à la mairie de Guingamp la rédaction d'un acte individuel de décès. Il ne s'agit plus là d'une simple mention marginale sur l'acte de décès d'un tiers.

 

La transcription [Delphine n'étant pas décédée à Guingamp, la mairie ne peut rédiger qu'une transcription des éléments du jugement] de l'acte officiel de décès est ainsi rédigé le 5 août 2011.

 

En 2024, on ne trouve cependant dans cet acte aucune reconnaissance de sa mort en déportation : si la condition essentielle de cette reconnaissance est enfin remplie, il apparaît qu'elle n'a pas été exploitée et l'ONACVG, en charge de la délivrance des mentions "Mort pour la France" et "Mort en Déportation", n'a pas été sollicité.

 

Une requête est donc initiée en 2024 par mes soins auprès de l'AFMD des Côtes d'Armor, comportant un dossier qui inclut les pièces nécessaires que j'ai collectées auprès des Archives Départementales des Côtes d'Armor (jugements de 1946 et 2011) et de la mairie de Guingamp (extrait de l'acte de décès).

 

Grâce à l'écoute favorable et bienveillante du président de l'AFMD Jimmy Tual, cette requête est transmise à l'ONACVG.

 

Le 21 août 2024, l'ONACVG décide d'attribuer la mention "Mort pour la France" à Delphine Le Gall-Morlais, assassinée par les nazis 79 ans plus tôt. Cette mention est désormais transcrite sur l'acte de décès. 

 

Décision n°2024-358 de la directrice générale de l'ONACVG attribuant la mention "Mort pour la France" à Delphine Le Gall-Morlais
(cliquer pour agrandir).

 

 

L'instruction de la mention "Morte en Déportation" est en cours et devrait prochainement donner lieu à un décret à paraître au Journal Officiel. A compter d'une année après la parution au JO, cette mention sera portée à son tour en marge de l'acte de décès de Delphine. Une si juste reconnaissance…

 

On comprendra que ce mois d'août 2024, qui nous a rassemblés dans de nombreuses commémorations du 80ème anniversaire de la Libération de notre pays, aura résonné tout particulièrement auprès de moi.

 

Il restera, en l'absence de sépulture familiale à Guingamp, à concevoir un signe matériel de reconnaissance et de mémoire en un lieu de la ville, sous une forme à définir.

 

Et enfin, à trouver la photographie qui donnera son vrai visage à ma "grand-tante" Delphine.

 

 

 

________________________

 

 

 

"LE GALL née MORLAIS Delphine", monument au morts de Guingamp.
(photo JMR)

 

Gedenkbuch für die Opfer des Konzentationlagers Ravensbrück 1939-1945,

extrait p.373   (copie aimablement communiquée par Mireille LE GALL)

 

Sources :

 

Louis Pichouron, Mémoire d’un partisan Breton, Presses universitaires de Bretagne, 1969. 

Alain Prigent, Notice LE GALL Delphine Anne Marie, Maitron, version mise en ligne le 12 juin 2011 : https://maitron.fr/spip.php?article137353 

 

Pour plus d'information sur le camp de concentration de Ravensbrück, on peut consulter de très nombreuses sources documentaires dont notamment le témoignage de Germaine TILLION : Ravensbrück, éd. du Seuil-Points, Paris 1973 et mai 1988, 517 p.

Le site https://moulinjc.pagesperso-orange.fr/Camps/Textes/ravens.htm reprend plusieurs sources documentaires et témoignages de déportées.

 

Repères généalogiques : 

 

Remerciements

Je tiens à exprimer toute ma gratitude :

 

- à Mireille et à Maryse LE GALL, petites-filles de Léontine LE GALL décédée avec son amie Delphine MORLAIS au camp de Ravensbrück, sans qui je n'aurais pas découvert les conditions exactes de la mort de cette "grand-tante" jusqu'alors inconnue,

 

- à Alain PRIGENT pour ses travaux de recherche ainsi que ses informations et ses conseils,

 

- à la rédaction de Guingamp du Télégramme pour l'intérêt qu'elle porte aux recherches sur cette résistante guingampaise trop peu connue, et notamment Enora NICOLAS, journaliste, qui m'a permis d'entrer en contact avec des témoins d'Edouard MORLAIS,

 

- à Jean-Pierre ROLLAND pour ses conseils bibliographiques, et notamment le témoignage de Mme LE GRAËT,

 

- à Gérard PICHOURON et aux habitants de la rue de la Madeleine (Guingamp) qui ont accepté d'évoquer leurs souvenirs d'Edouard MORLAIS et de l'ancienne configuration de la rue,

 

- à la Ville de Guingamp pour sa disponibilité dans la recherche des éléments d'état-civil,

 

- au greffe du TGI de Saint-Brieuc pour la communication d'une copie de jugement civil,

 

- aux Archives Départementales des Côtes d'Armor, pour leur mise à disposition de nombreux documents relatifs à la rafle des résistants guingampais durant l'été 1943, ainsi que du jugement du tribunal civil de 1946 déclarant Delphine MORLAIS décédée,

 

- à l'ANACR (Association Nationale des Anciens Combattants et ami.e.s de la Résistance) pour avoir accepté de relayer ma demande de renseignements,

 

- au Musée de la Résistance de Besançon pour ses conseils et sa mise à disposition de documents précieux issus des archives de Germaine Tillion,

 

- à Jimmy TUAL, président de la section des Côtes d'Armor des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD), pour sa mise à disposition de copies de probables photographies de Delphine LE GALL,

 

- à Stéphane BRIENT et Marie-France BELEGAUD pour nos nombreux échanges sur les résistantes de Guingamp et la localisation précise du domicile de Delphine LE GALL-MORLAIS.

 

 

 

J'espère pouvoir également remercier prochainement les nombreux établissements et collectivités contactés (certaines mairies du Calvados et de la Mayenne, établissements publics nationaux et régionaux, nombreux EHPAD) qui n'ont pas encore répondu à mes sollicitations mais dont je ne veux cependant pas douter de la bonne volonté.

 

 

 

 

Des questions multiples non encore résolues : 

  • La famille MORLAIS était installée à Guingamp depuis les années 1840 jusqu'au décès d'Edouard en 1967. L'activité de boulangerie des premières générations lui a certainement conféré une certaine notoriété locale. 
    Aucun document n'atteste pourtant aujourd'hui de l'inhumation d'Edouard MORLAIS "père" (1922), de Jeanne JOUANNARD (1937) et d'Edouard "fils" (1967), ni à Guingamp ni dans les communes voisines. 
    Si l'absence de sépultures peut aisément s'expliquer par la durée des concessions et leur absence de renouvellement, tel n'est pas le cas des lacunes des registres municipaux des inhumations.

 

  • [Résolue] Delphine LE GALL-MORLAIS est connue par les recensements de la population et par les documents de la police de Vichy [AD22], pour avoir habité durablement au 70 de la rue de la Madeleine.
    Aujourd'hui, le 70 se situe sur la commune de Grâces et un témoignage précis indique que ce n'est pas elle mais une autre famille qui habitait cette maison. A quelle maison actuelle correspond alors le 70 des recensements ?

 

  • Que sont devenus les effets personnels de Delphine LE GALL après son arrestation ? Son frère Edouard a-t-il pu en conserver une partie et, dans ce cas, que seraient-ils devenus ? Nul ne dispose aujourd'hui de la moindre photographe de Delphine, qui passe aujourd'hui pour une "résistante sans visage".

 

  • Et tant d'autres questions sur la vie quotidienne de Delphine, avant et après son arrestation. Si les sources bibliographiques sont assez nombreuses pour décrire le triste devenir des résistants appréhendés en août 1943, des variantes voire des contradictions existent ici et là et les sources d'origine font souvent défaut.

Mise en ligne : 8 mai 2023

Mise à jour : 24 septembre 2024

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2024

Reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.