L'X, dans le jargon des Grandes Ecoles, désigne l'Ecole Polytechnique, école militaire qui forme ses étudiants aux fonctions d'encadrement des grands corps de l'Etat.
Beaucoup des élèves "pantouflent" à la sortie et optent pour une carrière dans le privé.
Jean Renault naît à Trémeur (Côtes-du-Nord) en 1908, dans le logement de fonction de ses parents instituteurs.
Ceux-ci vouent un culte à l'Ecole publique, au savoir, à la discipline qui permet d'acquérir de nouvelles connaissances, de développer des compétences nouvelles pour, à l'arrivée, tenter de s'élever socialement.
Il nous faut, pour bien comprendre cet enjeu, resituer le cadre social des campagnes au début du XXème siècle.
Jean Renault vers 1915
La famille Renault a quitté la ferme de La Malhoure vers 1860, laissant l'exploitation du Grand Clos au frère aîné. Joseph Renault, après sa douloureuse expédition de 1854 en Crimée où il eût un pied gelé, revint handicapé de la guerre et sollicita le droit d'exploiter le bureau de tabac du Gouray, qu'il obtint en tant que pensionné et prioritaire.
Le fils de Joseph, mon grand-père Jean Baptiste Renault, était voué à être menuisier au Gouray mais avait montré à l'école des capacités qui alertèrent son instituteur.
Celui-ci encadra son ancien élève devenu apprenti, et lui permit d'accéder au difficile concours d'entrée à l'Ecole Normale d'Instituteurs de Saint-Brieuc.
La volonté d'apprendre et de découvrir, et l'accès à une fonction importante, celle d'instruire et d'éduquer les élèves, avaient guidé Jean Baptiste qui, le moment venu en compagnie de sa femme Augustine également institutrice, imprima à ses enfants le même désir d'apprendre et de poursuivre ses études.
La guerre de 14-18 compléta l'ensemble, avec la promotion de la discipline et de l'obéissance.
Jean Renault fut écolier durant la guerre, comme je l'ai indiqué dans un récent article (voir), puis fut admis au lycée de Saint-Brieuc à la rentrée 1918.
il se montra rapidement apte aux études secondaires. Curieux de tout, il accumula les récompenses dans les domaines les plus variés allant des Mathématiques à la Philosophie en passant par l'Anglais.
Lycée de Saint-Brieuc, classe de Mathématiques,
année scolaire 1924-1925 [cliquer pour agrandir]
Le traitement de ses parents ne permettait pas d'offrir à Jean de longues études après le lycée.
C'est grâce à une bourse d'études qu'il pût poursuivre après le baccalauréat : l'obtention du prix Cyrille Le Barbu lui permit en effet d'obtenir une aide précieuse, mais à condition de remplir les conditions de son octroi.
Car le règlement du prix était précis : son lauréat devait obligatoirement se présenter à un concours d'entrée dans une des Grandes Ecoles de l'Etat.
Prix Cyrille Le Barbu décerné à Jean Renault en 1925.
[cliquer pour agrandir]
La voie du jeune lycéen, bachelier à 17 ans, était donc provisoirement tracée : il devait s'inscrire en classe préparatoire aux Grandes Ecoles.
A cette époque, l'obtention du baccalauréat reste rare : les lauréats sont au nombre de 3 600 en 1925, contre 660 000 aujourd'hui, et sont pour la plupart issus des classes favorisées des villes. Jean Renault se présentait ainsi comme le premier bachelier de sa commune natale de Trémeur.
La carte scolaire de 1925 n'était pas celle d'aujourd'hui, et l'obligation de préparer les concours de Polytechnique ou de Normale Sup' nécessitait de poursuivre ses études à Paris.
A la rentrée 1925, Jean Renault était donc inscrit au Lycée Saint-Louis.
Autrement dit, Math Sup et Math Spé au lycée Saint-Louis. Je reviendrai peut-être un jour sur les nombreuses anecdotes qui émaillèrent la scolarité de Jean Renault durant ses classes prépa.
Le résultat fut à l'arrivée : notre préparationnaire fût admis à l'Ecole Polytechnique, établissement où il entra à la rentrée 1927.
Le "nouveau dortoir" du lycée Saint-Louis et l'emplacement du lit de Jean Renault [cliquer pour agrandir]
Dans le jargon de l'enseignement supérieur, l'Ecole Polytechnique est communément surnommée l'X. Chaque élève se présente en ajoutant l'année d'entrée dans l'école : voici donc Jean Renault promu "X 27".
La nouvelle, à Trémeur, fait sensation. La joie des parents est immense, et même le quotidien local signale cette belle réussite :
Extrait de l'Ouest-Eclair, 1927
Durant ses années d'études à Polytechnique, Jean Renault acquiert les bases de l'encadrement militaire (vocation première de l'école) et de l'encadrement technique des armées.
Jean Renault en tenue de polytechnicien
Comme beaucoup de ses camarades, il ne choisit pas le Ministère de la Guerre ou de la Défense. Pour lui, ce sera celui des PTT. Les technologies de la communication se développent, et les besoins de l'armée (génie militaire) et de la société civile augmentent rapidement.
Après une année complémentaire à l'Ecole supérieure d'Electricité (Supélec) Jean Renault sort de ses études supérieures investi du grade d'ingénieur des Postes, Télégraphe et Téléphone.
L'Ecole Polytechnique dans les années 1920, rue de la Montagne Sainte-Geneviève [cliquer pour agrandir]
Que de chemin parcouru depuis l'enfance à Trémeur ! L'école de la République avait permis à un jeune garçon des campagnes, en fonction de ses facultés, d'accéder à un emploi élevé de l'Etat.
Le bicorne de Jean Renault, accessoire de tout polytechnicien
Le propos n'est pas ici de retracer la poursuite de sa carrière, mais plutôt d'insister sur un point important.
Loin de tourner le dos à sa commune natale et à ses habitants, Jean Renault resta profondément attaché au village de Trémeur qui l'avait vu naître et où il fût inhumé en 1978.
Et c'est en échangeant avec ses anciens camarades d'école restés au pays que lui vint progressivement l'idée de rédiger le Glossaire du Parler de Trémeur, ce "parlement" qu'il maîtrisait mais qu'il avait eu trop peu l'occasion d'utiliser durant sa vie professionnelle à Paris...
Conserver ses racines sans en être prisonnier est toujours un enrichissement dans un parcours de vie.
Jean-Marie Renault
Écrire commentaire
Joelle (jeudi, 28 novembre 2024 09:09)
Très émouvant, bel exemple de promotion sociale sans fausse gloire