En novembre 1689, mon ascendante Gilette COQUAIRE, ma "Sosa 303" (9ème génération), naît au village du Perquis, situé dans « l’écart » du Thélin en la paroisse de Plélan (aujourd'hui Plélan-le-Grand, département d'Ille-et-Vilaine).
On nomme alors « écarts » les lieux éloignés des bourgs, qui échappent parfois au droit commun.
Localisation actuelle du village du Perquis en Plélan-le-Grand [cliquer pour agrandir]
Nous sommes ici aux confins de la forêt de Brécilien (Brocéliande), comme elle est alors dénommée avant d’être appelée plus tard forêt de Paimpont.
Sans doute la présence des nombreuses ressources forestières et minières a-t-elle conduit à une organisation sociale particulière, fortement encadrée par les propriétaires successifs de la seigneurie de Plélan.
Le fief du Thélin, dont relève le village du Perquis habité par mes ascendants, est centré administrativement sur le village du Gué où les seigneurs de Plélan exercent leur droit de haute justice.
Localisation du village du gué ("Gay") sur la carte
du Gouvernement de Bretagne, 1777. [cliquer pour agrandir]
« Féodalement, la seigneurie de Plélan se composait surtout de plusieurs fiefs en cette paroisse, qui relevait tout entière d’elle en arrière-fief. Ces fiefs jouissaient d’une haute justice exercée au Gué de Plélan. [...] Parmi les fiefs de Plélan se trouvait le grand fief du Thélin, dont les habitants ne vivaient point en République, comme on l’a prétendu, mais jouissaient de plusieurs privilèges et se gouvernaient, sous l’autorité du seigneur, d’une manière toute patriarcale».
Abbé Amédée GUILLOTIN DE CORSON, Les grandes seigneuries de Haute Bretagne, Vol. 1, p.109, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896.
L’organisation sociale de ce fief semble remonter au moins au XVème siècle, puisque les Usements de la forêt de Brécilien, rédigés en 1467, précisent les droits afférents à ses habitants, qualifiés de « communiers » en raison de l’exploitation indivise des biens du fief :
« Les communiers du fief (fieu) de Telent, ceux du fief de Castonnet, les communiers de la Rivière étant en la paroisse de Plélan, ont droit d’usage de mener leur bête aumailles et autres au quartier de la forêt appelé Lohéac sans les inscrire, ni rien payer. Ils peuvent également prendre du bois mort tombé (chéast) sur feuille (feille) la quantité que deux hommes pourraient enlever sur une charrette sans employer ni cognée ni ferrement, excepté que les communiers du fief de Castonnet ne peuvent prendre de bois au breil de Trécélien ni y mettre leur bétail».
In https://broceliande.brecilien.org/Le-fief-du-Tellain. Texte traduit de l’original : PUTON, Alfred, « Usages, anciennes coutumes et administrations de la forêt de Brécilien. De ceux qui ont droit d’usage et droit de prendre du bois dans cette forêt pour leurs besoins nécessaires. », in Coutume de Brécilien. Titres, jugements et arrêts concernant les usages de Paimpont et Saint-Péran. Nancy, Imprimerie E. Réau, 1879, p.9.
Si nos ancêtres disposent de droits sur les ressources des terres et de la forêt, ils n’en sont pas pour autant propriétaires et ne font qu’exploiter collégialement les ressources des seigneurs.
Ils doivent en compensation des devoirs au service des seigneurs successifs de Plélan, comme le précise l’aveu général du fief de Thélin de 1687, écrit deux ans avant la naissance de Gilette COQUAIRE, du vivant de ses parents :
« Dans l’acte de ce genre dressé en 1687, ils reconnaissent « estre hommes et subjects du seigneur de Plélan, et de luy tenir prochement en sa terre et seigneurie de Plélan une tenue d’héritages nommée le fief du Telain, contenant environ 2,500 journaux de terre ».
Ils avouent aussi devoir à ce seigneur une rente annuelle de 47 livres 9 sols, et « chaque demeurant en maison lui appartenant une buce d’avoine et une geline [poule] » ; tous ceux qui ont des bœufs, charrettes et chevaux doivent certaines corvées ; ceux qui n’en ont point sont chargés de la garde des prisonniers ; tous doivent, une fois la semaine, « le devoir de hue au temps de la semaison et porchaison ».
En revanche, ils jouissent du droit d’usage dans le quartier de Lohéac en la forêt de Brécilien ; ils ont droit d’y saisir les animaux étrangers et d’y nourrir leurs porcs en certaines saisons ; ils sont exempts des devoirs de coutume à Bréal et à Lohéac, etc... (Archives Paroissiales)».
Abbé Amédée GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, Vol. 6, p. 368 - Rennes, Fougeray éditeur, 1896.
A ces droits et devoirs propres à ce lieu s’ajoute une organisation institutionnelle qui renforce la cohésion de la communauté. L’aveu de 1687 apporte les précisions suivantes :
« [..] les habitants du Thélin doivent se réunir trois fois l’an, le mardi de Pâques, le jour Saint-Armel (16 août) et à la fête de Saint-Étienne, à Noël, « en un lieu estant en leur dicte tenue, nommé la fontaine Bodin, pour disposer des choses nécessaires pour la garde et défense de leur dicte tenue ; et les ordonnances et dispositions qu’ils font auxdits jours valent sans autre assignation, pourvu que ce soit pour le profilt desdicts teneurs ».
II est encore dit dans le même acte que le mardi de Pâques les tenanciers du Thelin doivent « eslir un homme teneur audit tenant pour faire la levée et cueillette des rentes et debvoirs et faire les exploits de justice » ; ils doivent ensuite nommer deux autres tenanciers pour conduire et présenter leur élu au seigneur de Plélan».
Abbé Amédée Guillotin de Corson, (1896) op. cit., p. 368.
La fontaine "Bodin" (aujourd'hui Bodine) existe encore de nos jours
sur la commune de Plélan-le-Grand.
Les règles sont ainsi régulièrement débattues lors des assemblées de la population qui se tiennent à la fontaine Bodin.
Je ne sais pas si mes ancêtres, notamment Jean COQUAIRE, père de Gilette, qualifié d’"honorable homme" dans son acte de décès en 1715, aura assumé la charge d’élu de la population de Thélin, à assurer la garde de prisonniers ou plutôt à contribuer en nature aux recettes du propriétaire des terres et forêts de Brécilien.
Pour mes ascendants, l’aventure collective de Thélin semble s’arrêter au début du XVIIIème siècle avec leur départ de cette paroisse, mais la communauté indivise poursuivra son existence au-delà de la Révolution.
Thélin ne parviendra pas à s’ériger en commune, mais sa population résistera en 1843 et 1844, y compris par des dégradations, à la création d’un camp militaire royal.
Si le terme de République donné par certains auteurs du XIXème siècle est abusif, il décrit cependant bien la grande cohésion sociale de la communauté de Thélin au sein de laquelle certains de mes ancêtres ont vu le jour :
« La « République du Thélin » apparaît comme une appellation populaire datant vraisemblablement du début du 19e siècle et les Thélandais n’ont certainement jamais formé une république à proprement parler. Les habitants du fief du Thélin ont cependant bénéficié de droits particuliers depuis le 13e siècle qui les ont différenciés des autres communautés paysannes de la région de Brocéliande. Ce statut particulier associé à une organisation originale a perduré durant au moins 700 ans durant lesquels les Thélandais ont défendu collectivement leurs intérêts».
In https://broceliande.brecilien.org/Le-fief-du-Tellain
Il y a, dans cette institution qui dura plusieurs siècles, un sens du collectif paysan que l'on retrouve ici et là dans d'autres terroirs.
Si cette "République" n'a pas existé politiquement, elle a cependant fonctionné en tant que groupe constitué élisant son représentant pour faire valoir ses intérêts et ses griefs.
En cela, la République de Thélin a préfiguré l'organisation des "généraux", assemblées de paroissiens réunies durant l'hiver 1788-1789 afin de rédiger les cahiers de doléances à la demande du roi.
Jean-Marie Renault
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Joelle (jeudi, 21 novembre 2024 09:22)
Tout-à-fait étonnant ! Et très intéressant bien sûr !