Dans les campagnes pauvres et peuplées du XIXème siècle, le développement de la Marine de l'Etat a été une aubaine pour bon nombre de mes ascendants, de leurs frères et de leurs cousins.
La présence proche du port militaire de Brest renforçait naturellement l'attraction des jeunes Bretons, embarqués ou à terre, pour les nombreux métiers de la Marine.
Le plus souvent, les jeunes hommes désœuvrés et à peine sortis de l'adolescence se faisaient volontairement engager. Ils soulageaient, ce faisant, la charge financière de la famille. Mieux : leur solde, même modeste en début de carrière, abondait le budget familial.
Quoi que l'on puisse penser aujourd'hui des origines de ce développement rapide, et notamment du désir du Second Empire puis de la République de créer et d'étendre par les armes un vaste domaine colonial français à travers le Monde, la réalité sociale et économique de l'époque était bien là : la "Royale" sauvait des milliers de jeunes gens de la pauvreté et leur assurait, selon leurs mérites et leurs facultés, une promotion sociale inespérée.
Insigne de quartier-maître de 1ère classe
5 quartiers-maîtres de la famille, parmi d'autres [cliquer pour agrandir].
Le nom figure sous chaque photo.
Certains espoirs tournaient court, par la mort ou par la maladie.
Ainsi Emile RENAULT (1870-1889), frère de mon grand-père Jean Baptiste, est admis à l'école des mousses de Brest à l'âge de 14 ans. Il embarque immédiatement pour une campagne de deux ans sur l'Austerlitz, jusqu'en octobre 1886. Au mois de mai de cette année, il opte pour un engagement volontaire.
Mais il n'atteindra pas la fin de sa période d'engagement. En raison d'une bronchite chronique "spécifique", il est maintenu à Brest durant près de deux ans et la commission de réforme le déclare finalement impropre au service le 22 août 1888.
Il est congédié le 31 du même mois et versé dans les contingents de réserve.
Emile décède quelques mois plus tard, le 12 avril 1889, dans sa maison natale du Gouray, à l'âge de 19 ans. Son rêve de découvrir le Monde par une carrière militaire commençant par le grade de quartier-maître s'éteint hélas.
Chose surprenante, le "roman familial" donnait une autre cause au décès d'Emile. De retour d'Afrique, son bâtiment aurait laissé monter des pères blancs à St-Louis-du-Sénégal, porteurs de la fièvre jaune. C'est de cette maladie que serait mort mon grand-oncle.
Les marins de l'Etat étant parvenus à dérouler une carrière de sous-officier, voire d'officier marinier, sont nombreux au sein de ma famille au XIXème siècle.
Sans que l'inventaire soit exhaustif (il reste de nombreuses recherches en cours), on compte pas moins de 9 quartiers-maitres, dont au moins 6 passeront second-maître et au moins 1 parviendra au grade de premier-maître, premier échelon des officiers mariniers supérieurs.
Les spécialités de ces marins sont diverses : maître fourrier, maître timonier, maître canonnier, maître distributeur, maître mécanicien, maître torpilleur...
On peut ainsi citer, parmi d'autres :
Le Bouvet, cuirassé qui sombra avec tout son équipage en 1915
Une carrière s'arrête brutalement : Félix VITEL, second-maître transmetteur, meurt noyé lors du naufrage de son bâtiment, le cuirassé Bouvet dans le Détroit des Dardanelles le 18 mars 1915. Fleuron de la Marine française affecté à l'Armée d'Orient, puissamment armé, le navire sombre en moins de deux minutes après avoir heurté une mine ottomane.
Pour les autres, les parcours se poursuivent et les grades s'obtiennent progressivement.
On se souvient [voir C comme...] que mon arrière-grand-père Louis JEAN a découvert l'Extrême-Orient et a consigné ses observations dans un carnet. De son côté, mon grand-oncle Victor RENAULT fait le tour de l'Amérique du Sud et, à son retour, raconte avoir (presque !) rencontré son frère Alexandre au Honduras.
Pour beaucoup, c'est l'Indochine et Madagascar. On correspond par carte postale, et la famille restée à la ferme découvre, les yeux ébahis, la photo du temple d'Angkor ou du port de Nagasaki.
Dans la poursuite de sa carrière, il semble que ce soit Jean Marie LE BAILL qui soit allé le plus loin.
Il atteint le grade de premier-maître au cours d'une de ses dernières campagnes. Revenu définitivement à terre, il est nommé instructeur de tir au canon à l'Ecole Navale
Chaque matin, il quitte son domicile de Saint-Pierre-Quilbignon puis de Brest pour regagner la navette militaire qui le conduit sur le Borda, ce navire-école qui mouille en rade de Brest.
Il exerce les futurs quartiers-maîtres à la théorie et à la pratique du tir au canon, discipline dans laquelle il a excellé toute sa vie : ses carnets de service précieusement conservés en témoignent encore aujourd'hui.
Le Borda mouillant en rade de Brest. C'est à bord de ce navire-école
que Jean Marie Le Baill acheva sa longue carrière d'officier marinier.
L'attrait du métier et les longues campagnes autour du Monde font découvrir aux jeunes gens des campagnes des territoires qu'ils n'auraient jamais imaginés. Certains ne reviendront pas chez eux.
Ainsi, Adolphe MASTIN (1839-1919), né à Lambres-lez-Douai (Nord), recruté dans son département d'origine, doit gagner Brest vers 1862 pour y être admis à l'école des mousses. Il ne retournera jamais dans sa ville natale. Installé à Brest, il s'y marie et y fonde une famille. C'est ainsi que, parmi mes propres ascendants, je compte des gens du Nord.
D'autres font également le choix de s'installer définitivement dans leurs nouvelles destinations.
Ainsi Victor RENAULT (1866-1922), enfant du Gouray (Côtes-du-Nord), s'installe à Alger où il fondera également une famille.
De son côté, François VITEL (1874-1953) quitte définitivement la campagne de Lannebert (Côtes-du-Nord) et s'installe à Toulon où il fondera également un foyer. Son fils Jean, puis son petit-fils Philippe, y développeront chacun une carrière politique de premier plan.
D'autres, enfin, ont fait le choix de revenir au pays. Louis JEAN et Jean Marie LE BAILL, leur carrière achevée, coulent des jours paisibles à Lannebert et à Brest.
Leur parcours de vie les conduit à poursuivre une vie sociale active.
Louis JEAN (1840-1911), mon arrière-grand-père trégorois, raconte les merveilles du Monde qu'il a admirées lors de veillées entre amis dans son village de Liscorno. Chaque matin, il achète le journal et le lit à ses voisins en le traduisant en breton afin de se faire comprendre.
Mon arrière-grand-père léonard Jean Marie LE BAILL (1855-1932), quant à lui, se présente en mai 1908 aux élections municipales de Saint-Pierre-Quilbignon (Finistère) sur une liste d'union. Celle-ci est élue, et notre premier-maître en retraite participera ainsi activement, le temps du mandat, à la vie de sa commune.
Jean-Marie Renault
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Frédérique (jeudi, 21 novembre 2024 13:49)
J'adore