Les recherches généalogiques conduisent souvent à des découvertes insoupçonnées, même lorsqu'elles portent sur des générations très proches de nous.
Lorsque cet ascendant, frère ou cousin d'ascendant, meurt sans descendance, bien des données sont perdues si on ne passe pas un peu de temps à les retrouver autrement que par les témoignages familiaux.
Tel était le cas hier avec Delphine MORLAIS (voir), et tel est le cas aujourd'hui avec Paul CREHALET (Caulnes 1903 - Perpignan 1966), un des cousins germains de mon père.
De tout temps j'avais entendu dire que "l'oncle Paul" avait eu durant toute sa vie un caractère bien trempé. Pour ma part, l'ayant peu connu, j'avais surtout retenu son physique impressionnant, massif comme celui d'un demi de mêlée.
Sa corpulence, il se l'était construite par son hyperphagie restée célèbre chez mes parents. Lorsque, jeune, il arrivait tardivement chez mes grands-parents, il se cuisinait volontiers une omelette de 12 œufs...
Douanier, il avait tenu tête à sa hiérarchie dans la programmation d'une pièce de théâtre auprès des personnels. Car vous l'aurez compris, Paul n'était pas seulement taillé comme un roc, il aimait la littérature et les arts.
L'incident qui l'opposa à la hiérarchie des Douanes, dont la nature est restée par la suite un "secret de famille", fut suffisamment grave pour que Paul soit mis à pied et muté d'office de Rouen à Halluin, à la frontière belge.
La transmission orale de la saga de Paul par la famille se résuma à ces quelques traits de caractère puissants, auxquels je me dois d'en ajouter un qui prendra une place importante dans ce qui suit : Paul CREHALET était connu pour être infiniment bon, serviable et dévoué, et son énergie peu commune était toujours mise au service des autres.
Paul CREHALET, années 1920.
Le roman familial, écrit à l'écoute des "anciens", doit toujours être complété. Il est souvent tronqué, inconsciemment ou non, soit qu'on ne veuille pas tout dire d'un cousin ou d'un aïeul, soit qu'on ne sache tout simplement pas tout de lui.
Si l'on s'amusait encore de son appétit gargantuesque plusieurs dizaines d'années après les faits, on omettait hélas de dire que Paul était à l'époque un sportif de haut niveau ! Et c'est de puissants muscles et non de mauvaise graisse qu'était remplie sa silhouette de lutteur.
C'est la lecture de la presse et non la transmission orale qui m'apprit ainsi que Paul CREHALET, durant ses études au lycée de Saint-Brieuc puis à l'Université de Rennes, n'était autre que champion de Bretagne puis champion de France des patronages de lancement du poids. La presse ne fut pas avare de louanges sur lui, tant en ce qui concernait ses prouesses sportives que son caractère serviable et dévoué, comme l'indique la Dépêche de l'Ouest dans un long article le 1er août 1923 :
Extrait de La Dépêche de l'Ouest, 1er août 1923 [cliquer pour agrandir]
Mes découvertes sur le parcours de Paul n'en restèrent pas là. Son courage et sa bienveillances reconnus, complétant un caractère entier et une volonté de fer, Paul les avait mis durant la 2nde Guerre Mondiale au service des plus vulnérables.
Un article de presse du 5 novembre 1950, récemment découvert, fait état de la remise du diplôme de Passeur bénévole à notre douanier familial, devenu entretemps inspecteur central des Douanes :
Extrait de presse du 5 novembre 1950 [cliquer pour agrandir]
Mes recherches actuelles ne m'ont pas encore permis de connaître le détail des actes de courage de Paul CREHALET durant la guerre. L'arrêté ministériel fixant les conditions de remise du diplôme précise qu'il doit s'agir obligatoirement d'une aide bénévole :
"tant aux prisonniers de guerre français évadés qu'à toute personne de nationalité française, militaire ou non, recherchée ou inquiétée par les forces de l'Axe. L'hébergement ou l'acheminement à travers une frontière ou au-delà des lignes de démarcation demeurent les seuls éléments à retenir pour la prise en considération des demandes des candidats".
Douanier à la frontière belge depuis de nombreuses années, Paul CREHALET connaissait chaque hameau français ou belge, chaque petit chemin susceptible d'assurer l'hébergement ou l'évacuation d'une personne recherchée par l'occupant.
La densité de la présence armée allemande dans le département du Nord, administré par le commandement nazi de Bruxelles et non par Paris, donnait à de telles actions un niveau de danger maximal.
Et Paul savait aussi que son propre statut de douanier le mettait doublement en danger. Arrêté, il aurait été immédiatement jugé et fusillé.
J'ignore encore aujourd'hui pourquoi les actes de bravoure de Paul CREHALET n'ont pas rencontré après la guerre la résonnance familiale à laquelle on aurait pu s'attendre.
De toutes les hypothèses, je préfère celle-ci : Paul et sa femme habitaient à Halluin, ville lointaine du Nord, alors que la famille habitait Paris et la Bretagne. Les échanges étaient difficiles et peu nombreux.
Je la complète par une autre : Paul CREHALET, dont on connaissait la bonté et la détermination, devait également être modeste. Ce qu'il a fait a servi à sauver des vies humaines, et non à se mettre en avant.
La généalogie, c'est aussi cela : compléter le roman familial par ce qui n'a pas pu être dit des aïeuls de leur vivant, quand, par chance, un témoignage vous arrive du passé.
Jean-Marie Renault
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Colzi Vitel christiane (mercredi, 20 novembre 2024 07:44)
Bonjour, de passage chez ma grand tante Marie Louise Vitel et son mari Élie aux vacances de Pâques 1958 a Mareuil - Caubert, elle aurait voulu que je reste plus longtemps pour pouvoir m'amener voir le cousin Crehalet à la frontière Belge.
Merci pour toutes ces anecdotes