La pauvreté et la recherche d'un emploi ont conduit beaucoup de nos aïeux à quitter leurs fermes natales. On a vu dans un article récent deux frères, Pierre et Joseph MORLAIS, natifs d'une ferme de Saint-Gilles en Ille-et-Vilaine, chercher fortune en ville, et parfois la trouver comme ce fût le cas de Joseph à Brest.
Mais pour beaucoup, le choix fût d'émigrer à Paris et en Ile-de-France à partir de la seconde moitié du XIXème et plus encore au début du XXème.
Cette émigration de plusieurs centaines de milliers de Bretons, parfois par familles entières, était facilitée par la présence du chemin de fer qui mettait Rennes à moins de 8 heures de Paris en 1882, et moins de 4 heures dans les années 1950.
Les temps de trajet par train en 1882 pour se rendre à Paris
(VisuActu, E. Martin, carte des communications rapides, 1882). [cliquer pour agrandir]
Les cheminots bretons étaient nombreux dès les années 1880. Parmi mes aïeux indirects se trouve ainsi le beau-frère de mon grand-père, Jean Marie COLLEU, né en 1863 à Saint-Jacut-du-Mené (Côtes-du-Nord), marié en 1887 au Gouray avec ma grand-tante Marie RENAULT. Le couple avait quitté le Mené pour s'installer à Mantes (aujourd'hui Mantes-la-Jolie), 2 rue de l'Eglise.
D'autres jeunes avaient quitté leur Bretagne natale pour poursuivre leurs études supérieures, les universités de Rennes et de Nantes leur proposant alors des formations insuffisamment nombreuses. Tel fût le cas de mes parents, qui vinrent à Paris pour y étudier.
Si beaucoup posèrent leurs valises dans le quartier de la gare Montparnasse, comme le fit ma mère avec ses parents arrivant de Brest, d'autres poussèrent le voyage plus loin en Ile-de-France, là où les emplois étaient plus nombreux : Saint-Denis, Les Lilas, Franconville,...
La gare Montparnasse à Paris, haut lieu d'arrivée et de départ
entre la Bretagne et la capitale (photo années 1950).
Une fois arrivés à Paris ou en Banlieue, les Bretons cherchent alors à conserver des liens forts avec leurs familles et leurs communes d'origine. Mais on ne rentre pas souvent au pays : le temps libre est rare avant les congés payés obtenus en 1936, le chemin de fer est coûteux et reste lent si l'on veut rejoindre la pointe du Finistère ou les Montagnes Noires.
Pour ne pas se perdre dans une ville dont la taille et le bruit impressionnent, les Bretons tentent de rester ensemble et créent des communautés et des lieux où il fait bon se retrouver, échanger en breton ou en gallo, prendre des nouvelles des autres. Montparnasse devient vite alors le "Chinatown" breton, avec ses commerces, ses crêperies et restaurants, ses métiers de toutes sortes, pour le meilleur mais hélas parfois aussi pour le pire...
C'est au 43 rue Saint-Placide, à deux pas de la gare Montparnasse, qu'est ouvert le 20 mai 1939 le centre culturel breton Kêr Vreiz (le Foyer Breton), inauguré par l'Historien Georges Gustave Toudouze.
L'objectif de ce foyer culturel est de conserver, loin du pays d'origine, les pratiques artistiques, linguistiques et musicales de la Bretagne.
Inauguration du foyer Kêr Vreiz
(in Paris-Midi, 21 mai 1939) [cliquer pour agrandir]
Kêr Vreiz, devenu Kêr Vreizh à la suite d'une réforme orthographique de la langue bretonne, connaît un succès rapide. Les conférences sur l'Histoire, les expositions de peinture, les cours d'apprentissage du breton, les concerts de harpe sont autant d'activités qui drainent à certains moments de la semaine un public intéressé et nombreux.
Mes propres parents, qui ne se connaissent pas encore, fréquentent ce foyer culturel et adhèrent à l'association.
Carte d'adhérent à Kêr Vreiz de Jean RENAULT, année 1940-41
Les années 60 et 70 modifient considérablement les relations entre les Bretons de Paris et leur pays d'origine. Pour certains d'entre eux, les liens se défont et les repères d'origine s'estompent peu à peu. Pour d'autres, les possibilités de se rendre en Bretagne sont fortement améliorées par l'apparition du TGV qui mettra Rennes à 2 heures, puis plus récemment à 1 heure 30 de Paris.
Le quartier Montparnasse fait l'objet d'opérations urbaines et immobilières de grande ampleur, provoquant un changement rapide du profil social et culturel de sa population. Beaucoup de Bretons arrivés là dans les années 20 ou 30 se voient obligés de quitter Montparnasse. L'apparition de nouveaux médias facilitent également l'accès à la culture bretonne.
Progressivement, la fréquentation de Kêr Vreizh diminue et un autre foyer, créé en 1947, La Mission Bretonne, saisit cette occasion pour se développer en modérant son caractère religieux d'origine, et s'installe rue Delambre à l'ombre de la tour Maine-Montparnasse.
A la fin des années 70, le foyer Kêr Vreizh ferme après 40 ans de fonctionnement. La vivacité de la culture bretonne en Ile-de-France perdure, mais désormais sous d'autres formes.
La généalogie nous fait traverser tous les thèmes de la vie contemporaine.
Ancrée dans l'Histoire pour mieux expliquer les cheminements sociaux, culturels et géographiques de nos aïeux, elle nous permet souvent de réfléchir à nos propres destinées.
Car si mes parents, issus de régions bretonnes différentes et arrivés séparément dans la capitale, n'avaient pas chacun adhéré à l'association Kêr Vreiz un jour de 1939 ou de 1940 et ne s'étaient pas connus à cette occasion, il est probable que je ne serais pas là pour écrire aujourd'hui ces quelques lignes...
Jean-Marie Renault
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Christiane Brneau (mercredi, 13 novembre 2024 09:12)
Très bel article. Bravo.
Frédérique (mercredi, 13 novembre 2024 14:20)
�
Marie josé Desgrée Thomas (mercredi, 13 novembre 2024 17:32)
Très interessant. Merci.
Vero de Mortillet (mercredi, 13 novembre 2024 23:41)
Je suis bretonne et cet article m’a beaucoup intéressé.