Joseph MORLAIS, le grand-père de ma grand-mère Marie MORLAIS, naît à Saint-Gilles (Ille-et-Vilaine) le 1er février 1828, précisément à la ferme du Cas-Rouge.
La ferme du Cas-Rouge en Saint-Gilles (photo JMR 2021)
Etant le 9ème de 10 enfants, il ne peut pas avoir beaucoup de prétention sur la future conduite de la ferme, qui reviendra finalement à son frère aîné Jean au décès de leur père.
Mais Joseph n'attendra pas la succession du fermage (location, la famille n'étant pas propriétaire), car c'est une bouche à nourrir parmi beaucoup d'autres. Il est d'abord placé ici et là dans les fermes de la commune ou chez des propriétaires un peu fortunés.
La pauvreté de sa famille, opposée au train de vie de quelques privilégiés de Saint-Gilles, lui donne la rage de s'en sortir. Puisqu'il n'y a pas d'autres emplois dans la région que ce qu'on lui propose, peu intéressant et mal rémunéré, il va partir.
Plusieurs années auparavant, son frère Pierre a déjà fui cette ferme surpeuplée et sans avenir pour lui. Profitant de l'amélioration des communications, Pierre avait choisi de s'installer boulanger à Guingamp vers 1840. Je raconterai peut-être un jour l'histoire terrible d'une de ses descendantes.
Boulanger ! C'est une bonne idée, dut se dire également Joseph : il fit le même choix 15 ans plus tard en poussant l'aventure un peu plus loin. Il décida en effet d'atteindre l'extrémité de la route en s'installant à Brest.
Joseph MORLAIS fit un choix qui, au moins dans un premier temps, devait lui rapporter gros.
Informé de la construction de la voie ferrée qui avait déjà atteint Rennes en 1857, certain que les trains devraient tôt ou tard arriver à Brest, il flaira la bonne affaire en achetant à Lambézellec un bâtiment de belle taille au sein duquel il ouvrit une boulangerie.
Un mystère entier demeure à ce jour : avec quels moyens, et avec quels crédits, ce jeune fermier de 25 ans arrivé sans argent dans la grande ville réussit-il à acquérir son bien ? C'est là un sujet qu'il me tarde d'aborder un jour… L'Histoire est un puits sans fond !
Il sut probablement s'informer avec précision du projet de la Société des Chemins de Fer de l'Ouest, puisqu'il ouvrit son commerce place Keruscun au-dessus du port de commerce, précisément là où la Compagnie prévoyait de construire ses bâtiments annexes au futur chantier : bureaux des cadres et locaux d'hébergement.
C'était là la promesse d'une clientèle nombreuse et captive.
Joseph MORLAIS, entre-temps marié en 1854 avec Joséphine SIOU, une jeune femme brestoise originaire du Moulin à Poudre, achète donc place Keruscun à l'angle de la rue Porstrein Nevez (aujourd'hui rue Jules Guesde) un bâtiment ainsi décrit dans le journal L'électeur du Finistère :
"Grande maison composée d'un rez-de-chaussée divisé en deux par un couloir d'entrée, ledit rez-de-chaussée ayant deux boutiques donnant sur la rue, et arrière-boutiques.
Le premier étage a deux chambres et un cabinet sur le devant, et deux chambres sur l'arrière.
Même distribution au deuxième étage. Au-dessus sont les mansardes et greniers. Sous la maison existent des caves dans lesquelles se trouve un four.
Derrière la maison, petite cour close avec lieux d'aisance."
Deux commerces, un fournil, 8 chambres… mon aïeul Joseph n'hésita pas à la dépense.
A l'angle de l'actuelle rue Jules Guesde et de la place Keruscun,
la propriété de Joseph MORLAIS à Lambézellec (photo JMR 2023)
Joseph et Joséphine n'habitent pas cette grande bâtisse, qu'ils préfèrent louer dans ce territoire en pleine extension pour s'assurer de plus amples revenus. Ils habitent, en location, un modeste appartement de Brest situé rue Guyot, hélas une des plus mal famées de la ville portuaire. Ils auront 6 enfants et seront contraints de déménager rue Kéréon.
Entre les nombreux loyers et les recettes d'une boulangerie aussi bien située, les affaires de Joseph prospèrent rapidement.
L'ancien petit fermier sans avenir chez lui est alors radieux : il est propriétaire. Ce mot, il le martèle et il le fera même apposer sur sa tombe que l'on peut voir au cimetière de Brest. Il avait été "petit personnel" chez des propriétaires de la région de Rennes, et il était devenu à son tour propriétaire.
En accumulant ces biens au prix d'un lourd travail et de beaucoup de sacrifices, il montrait ainsi que, lui aussi, était capable de devenir ces gens qui l'avaient sans doute un peu méprisé autrefois, et dont il avait envié le train de vie.
Que s'est-il passé, dans ce contexte pourtant favorable, pour que Joseph en vienne à déposer son bilan et à être déclaré en faillite ? C'est là un nouveau mystère qu'il me plairait de comprendre un jour.
Une maladie invalidante ? Une baisse progressive de la clientèle ? La raison n'est pas connue à ce jour.
Dans une jugement du 3 mai 1873, alors que Joseph a 45 ans, le tribunal de commerce de Brest décide la faillite de l'entreprise. Le 24 juillet, le tribunal civil fixe le prix de vente de la maison à 15 000 Fr.
La maison ne trouve pas acquéreur, les créanciers s'impatientent et la situation s'enlise. Le 19 novembre, le même tribunal précise donc que la vente doit se faire "même en-dessous de la mise à prix sus-référée".
Le 6 décembre 1873, la maison est vendue. L'aventure du boulanger s'arrête.
Extrait de l'Electeur du Finistère, 6 décembre 1873 (cliquer pour agrandir)
Il n'est pas contestable que mon aïeul avait "réussi", si l'on prend pour critère la seule réussite matérielle.
Mais peut-on dire qu'il a tout perdu avec cette vente forcée ? Probablement pas, et Joseph, qui avait sans doute plus d'un tour dans son sac, avait flairé d'autres affaires. Un troisième mystère est à percer...
Joseph meurt en effet à Brest le 10 juillet 1903 à son domicile du 5 rue Duguesclin, entouré des siens. A son décès, son immeuble est mis en vente au profit des nombreux héritiers, femme et enfants.
Oui, vous l'avez compris, Joseph s'était refait une santé financière et possédait lors de son décès un immeuble entier de Brest.
Propriétaire, je vous dis, jusque sur sa tombe...
"Ci-git Joseph MORLAIS, propriétaire"...
Tombe située au cimetière de Brest, photo JMR 2021
Jean-Marie Renault
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Frédérique Le Calvé (jeudi, 07 novembre 2024 13:21)
J'adore tes articles, merci de les écrire
Christelle Gomes (jeudi, 07 novembre 2024 22:08)
Je n'avais jamais vu cette mention sur une tombe ! Quel parcours que le sien !
Camille (vendredi, 08 novembre 2024 19:13)
Quel parcours, très bien retracé.