Il existait en Bretagne avant la Révolution un usage, apparemment propre à cette province, qui portait sur les conditions juridiques du mariage des jeunes mineur(e)s et orphelin(e)s, au moins de leur père.
Rappelons que la majorité n'était alors reconnue en Bretagne qu'à 25 ans, tant pour les jeunes gens que pour les jeunes femmes.
En droit, tout enfant mineur devait obtenir le consentement de ses parents pour être autorisé à se marier. Une difficulté se posait lorsque au moins le père était décédé : quelle personne donnait alors son éventuel consentement ?
C'est le juge de la juridiction dont relevait la paroisse de résidence du jeune mineur qui se substituait alors aux parents du (de la) prétendant(e) au mariage et qui arrêtait sa décision par un décret de justice ou décret de mariage pris après consultation de pas moins de 6 membres de la famille paternelle, et autant de la famille maternelle.
Cette consultation de 12 membres de la famille de l'enfant mineur conduisait à un avis sur le projet de mariage, repris ensuite par le juge pour arrêter sa décision.
Quant au rôle du recteur de la paroisse dans l'administration du sacrement de mariage, il paraît assez identique à la pratique habituelle.
Plusieurs cas se présentent chez mes ascendants, et j'en propose deux aujourd'hui, à Gommenec'h (évêché de Tréguier) et à Maure (évêché de Saint-Malo, dénommée plus tard Maure-de-Bretagne, puis récemment commune déléguée du Val d'Anast).
Situation de Gommenec'h et de Maure (cliquer pour agrandir).
Mes ascendants Guy JAN et Louise EVEN se marient le mardi 13 septembre 1774 dans l'église de Gommenec'h.
Cette union est atypique à plusieurs titres, mais c'est surtout la différence d'âges qui attire l'attention. Si le futur époux, natif de Goudelin, a déjà 49 ans sans avoir été marié précédemment, la future mariée est une jeune fille de 19 ans.
S'il est inutile de préciser que Guy n'a pas besoin d'autorisation parentale, en revanche Louise est mineure et a perdu son père Gui avant son mariage. Bien que sa mère Françoise FOËSON soit toujours en vie (mais absente au mariage "par caducité", c'est-à-dire incapable d'y être présente), Louise doit obtenir pour se marier l'autorisation du juge de la juridiction de Coëtmen prise après le consentement des douze membres de sa famille dans les conditions décrites précédemment.
Il est dit alors qu'elle est "décrétée de justice", comme en témoigne l'acte paroissial (cliquer pour agrandir) :
Acte paroissial du mariage de Guy JAN et de Louise EVEN (1774).
"Le treize de septembre mille sept cent soixante-quatorze, Guy Jean dit Blais fils majeur [...] et Louise Even fille mineure de défunts Jan Even et Françoise Foëson [...], cette Even décrétée de justice par ordonnance de la juridiction de Coetmen du neuf de ce mois, signée Jouland greffier, ces deux de cette paroisse [...] ont été par le soussigné recteur conjoints après fiançailles en face d'église [...] en légitime mariage suivi de bénédiction nuptiale [...]".
Moyennant les précisions juridiques imposées sur l'autorisation de Françoise à se marier, le présent acte présente les caractéristiques normales d'un acte de mariage et le recteur de Gommenec'h a prononcé un mariage religieux habituel.
Mes ancêtres Raoul BARRE et Perrine THOMAS, habitant tous deux Maure, se sont unis en 1708.
La recherche de cette union n'a pas permis de trouver d'acte paroissial de mariage, ni à Maure, ni dans les paroisses voisines (notamment à Campel, où naîtra leur fils François).
Tout au plus trouve-t-on, perdu dans le registre de Maure en 1708, à la date du 9 janvier, une mention de leurs fiançailles :
"Raoul Barré et Perrine Thomas de Maure après avoir reçu le décret de mariage se sont fiancés en présence de leurs parents, étaient présents Pierre Guillotel et Olivier Thomas".
La rédaction de cette union, très brève et ne mentionnant que les fiançailles, surprend quelque peu, mais la mention du décret de mariage est bien présente : il semble, selon les recherches encore en cours, que la "fiancée" n'avait que 17 ans.
On trouvera des compléments d'information sur cette procédure originale par les généalogistes Marie-Hélène LERAY sur le site de Généanet (voir) et Sophie BOUDAREL dans la Gazette des Ancêtres (voir).
Le caractère propre à la Bretagne de cette disposition laisse à penser qu'il s'agirait d'une coutume juridique ancienne du Duché, sans doute antérieure à son union au Royaume.
Les décrets de mariage sont déposés aux Archives Départementales avec l'ensemble des ressources juridictionnelles.
Leur intérêt dans la recherche généalogique est qu'ils fourmillent de détails précieux sur les personnes qui en font l'objet et sur leurs familles, là où les actes paroissiaux se limitent généralement à la mention des parents et de quelques personnes présentes.
Ces ressources ne sont pas numérisées, sauf exception, et nécessitent une lecture sur place.
Jean-Marie Renault
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Marie-Isabelle FEMENIA (mardi, 05 novembre 2024 16:01)
Pour le Morbihan en tout cas, le Cercle Généalogique a indexé ces décrets de mariage.