· 

C comme... Carnet de campagne dans les mers de Chine et du Japon

 

Louis JEAN (1840-1911) était le père de ma grand-mère Augustine JEAN, institutrice à Trémeur (Côtes-du-Nord) mariée à Jean Baptiste RENAULT, également instituteur.

 

Louis, mon arrière-grand-père, était né à Lannebert, petite commune du Goëlo située près de Lanvollon, entre Paimpol et Guingamp. 

 

Il a seulement deux ans lorsque son père Paul, tisserand à Lannebert, meurt à l'âge de 33 ans. Louis, fils unique, est élevé par sa mère Anne BRIEND qui ne se remarie pas.

 

La famille ne possède pas de terres et vit très modestement du commerce du lin. La campagne est pauvre et très peuplée.

Sans biens, sans la moindre ressource, que peut devenir Louis en ce milieu du XIXème siècle ?

 

  • Marin dans la Royale

 

La réponse lui est donnée par la Marine militaire, comme à des milliers d'autres jeunes gens qui cherchent à se sortir d'une évidente misère. De son côté, la République a besoin de bras et de compétences pour développer sa présence coloniale en de nombreux points du globe : l'Empire Français est en pleine expansion.

 

Louis saisit cette opportunité et s'inscrit à Brest comme novice à l'âge de 18 ans. Il part alors pour six mois pour une première campagne à Saint-Pierre-et-Miquelon. Découvrir l'Atlantique Nord à cet âge, pour un jeune homme qui n'a connu que la campagne de Lannebert, est un dépaysement total.

 

L'expérience lui plait. Deux ans plus tard, il passe matelot et délègue sa solde à sa mère. Ses services en mer vont se multiplier, y compris en 1870 où il embarque sur le garde-côtes Onondaga alors que la guerre se déclare.

 

Il passe quartier-maître en 1871, revient quelques temps à terre en 1872 et se marie avec Reine VITEL, une jeune femme de Lannebert dont il aura plus tard deux filles, Louise en 1874 puis Augustine (ma grand-mère) en 1877.

 

  • La campagne du Montcalm (1873-1876)

 

La plus longue période en mer est sa campagne dans les mers de Chine et du Japon, qui commence par une période à Cherbourg, le temps de préparer la canonnière Montcalm à ce périple qui durera pas moins de 31 mois.

 

L'Atalante, sister ship du Montcalm, en cale de radoub.

 

 

Louis a le cœur gros. Il quitte sa femme Reine qui est sur le point d'accoucher pour se faire pointer présent à Cherbourg le 23 septembre 1873. Il est encore à terre, le bâtiment ne devant partir que le 1er novembre, lorsqu'il apprend par courrier la naissance de sa fille Louise le 27 octobre.

Trop tard, il n'est plus question de se rendre à Lannebert pour admirer le bébé : Louis fera la connaissance de sa fille après son retour le 3 juin 1876, alors que l'enfant a déjà deux ans et demi.

Elle parle déjà bien breton, la langue dans laquelle sa mère a évidemment commencé à l'élever, la seule qui soit parlée communément à Lannebert.

 

Louis JEAN, quartier-maître canonnier sur le Montcalm (photo c. 1873).

  • Un carnet de campagne tenu au jour le jour

 

 

Si la seule langue employée en famille et avec les voisins et amis est le breton, Louis a cependant appris à se débrouiller en français au moment de son incorporation. Il a rapidement maîtrisé cette langue nouvelle pour lui, au point de l'écrire très correctement et d'avoir envie de l'utiliser pour rédiger un carnet de bord.

 

Il consigne ainsi dans un carnet manuscrit le parcours de sa campagne qui l'a conduit, de novembre 1873 à mai 1876, à travers les mers d'Extrême-Orient.

 

Page de garde du carnet de campagne du Montcalm,

par Louis JEAN (écrit Jean Louis).

Chaque jour ou presque de sa très longue campagne, Louis relate la vie à bord du navire et, plus encore, le spectacle qu'il lui est donné de découvrir avec l'étonnement que l'on imagine.

 

Nous découvrons la tempête que le navire essuya en golfe de Gascogne, la traversée du canal de Suez et de la Mer Rouge, l'eau de mer luminescente la nuit au large d'Aden, les escales à Ceylan, Singapour, Saïgon, la vue de l'île Poulo Condor servant de bagne, puis Tourane, Hong-Kong, Shanghaï, Nagasaki, Yokohama, Vladivostok et la mer de Corée, la muraille de Chine, puis Manille et le retour en Europe.

 

Que de souvenirs incroyables à raconter bientôt à Lannebert !

 

Durant le retour rendu difficile par la tempête qui sévit alors en Mer Rouge, Louis se lamente :

 

"Où est donc le temps que Moïse passait là à pied sec, ainsi que son armée ?"

 

  • Un précieux carnet sauvé in extremis de la destruction

Il paraît simple aujourd'hui de lire le précieux témoignage de Louis JEAN, que l'on peut découvrir entièrement ici (cliquer).

 

Et pourtant ! Ecrit entre 1873 et 1876, ce carnet détenu alors par une famille qui n'en mesurait pas la portée, a failli définitivement disparaître à la déchetterie en 1999...

 

Son existence m'était alors inconnue. Je découvris par hasard cette année-là que la sépulture de Reine VITEL, femme de Louis JEAN, et de leurs enfants et petits-enfants, faisait l'objet de soins réguliers. Hasard ou pas ?

 

Surpris par l'existence de personnes inconnues de moi et qui montraient un attachement visible à ma propre famille, je découvris après recherche qu'il s'agissait de proches de la veuve d'un petit-fils de Louis JEAN, récemment décédée. Sans lien avec la famille, ils avaient hérité à l'occasion de ce décès de papiers sans intérêt pour eux.

 

Mes contacts avec ces personnes habitant à quelques kilomètres seulement de mon domicile (encore le hasard ?) m'apprirent qu'elles possédaient de nombreux documents, manuscrits, photographies et cartes postales ayant appartenu aux enfants de Louis JEAN et de Reine VITEL.

 

Ces personnes m'alertèrent également sur leur intention de les détruire très prochainement car elles ne trouvaient nul besoin de conserver les archives de personnes qu'elles n'avaient pas connues et qui n'étaient pas de leur famille.

 

Elles ignoraient tout de l'existence de Louis JEAN, au point de l'appeler Jean-Louis conformément à ce qu'elles lisaient sur la couverture du carnet.

 

Deux jours après, l'ensemble se trouvait en sécurité à mon domicile et sauvé d'une destruction certaine. 

C'est ainsi que fût sauvé le carnet de campagne de Louis JEAN ainsi que de nombreux autre documents, à quelques jours seulement de leur destruction programmée.

 

 

Jean-Marie Renault

 

Écrire commentaire

Commentaires: 9
  • #1

    Marie-Isabelle FEMENIA (lundi, 04 novembre 2024 10:10)

    Un bel article qui me rappelle les lettres de mon arrière grand tante religieuse écrites sur un paquebot entre Marseille et le Tonkin en 1895. Elles ont aussi été sauvées et transmises.

  • #2

    Joelle (lundi, 04 novembre 2024 10:48)

    Quelle vie et quel beau sauvetage de ces carnets de voyage émouvants ! Merci de nous les faire lire

  • #3

    Traces et petits cailloux (lundi, 04 novembre 2024 10:51)

    Quel merveilleux documents, et quelle histoire que ce sauvetage in extremis ! J'ai pour ma part eu la surprise l'été dernier de découvrir que la tombe de mon AAAGM, décédée il y a plus d'un siècle et que j'avais découverte il y a deux ans, a été depuis totalement rénovée, avec la pose d'une pierre tombale en marbre. Trace évidente de cousins inconnus. Il faut vraiment que je mène l'enquête pour les retrouver !

  • #4

    Yvon (lundi, 04 novembre 2024 13:25)

    Ma grand-mère Augustine COLLET, proche voisine de Louis JEAN à Liscorno-Lannebert, a certainement écouté les conseils de Louis JEAN lorsqu’elle a fait enrôler son fils, mon grand-père Marie Joseph COLLET, comme mousse dans la marine … à l’âge de 13 ans.

  • #5

    Françoise Degenne (lundi, 04 novembre 2024 13:53)

    La généalogie et les belles surprises qu'elle nous réserve parfois !

  • #6

    Sophie (lundi, 04 novembre 2024 21:02)

    Magnifique article. J'ai tilté tout de suite quand j'ai vu le Montcalm. Un de "mes bagnards" était marin sur le Montcalm au moment de sa condamnation mais 2 ans après Louis.
    En tout cas BRAVO pour ce challenge tant attendu. Il est très réussi pour ce début

  • #7

    Briqueloup (lundi, 04 novembre 2024 22:05)

    Je pense aussi à l'épouse qui a élevé seule un tout petit enfant pendant 2 ans et demi.

  • #8

    Véronique de Mortillet (lundi, 04 novembre 2024 23:21)

    Quelle chance d’avoir pu sauver ce précieux carnet de la destruction.

  • #9

    Christelle Gomes (mardi, 05 novembre 2024 21:19)

    Un sauvetage in extremis ! Quel chance de posséder un tel carnet, c'est un témoignage précieux et incroyable.

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2024

Reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.