De tous temps, de mémoire familiale, il se disait que mes ancêtres étaient tous Bretons. Ils étaient originaires du Mené (sud de Lamballe), du bassin de Rennes, du Goëlo (région de Guingamp-Paimpol), du Léon (région de Brest).
Certains avaient parlé gallo, d'autres s'étaient exprimé en breton mais dans tous les cas, ils étaient Bretons. De quoi vous souder une famille…
Un premier doute s'installa dans les années 1960 lorsque ma mère admit qu'elle avait entendu parler, étant petite, d'ancêtres "flamands" du côté de sa propre mère, sans plus de précisions. J'y reviendrai peut-être un peu plus tard.
Mais ça n'est qu'en 2022, presque avant-hier, que je fis la connaissance de Louis CAMUS, un ancêtre que je cherchais depuis un bon moment, découverte qui allait définitivement briser les certitudes familiales.
Chacun sait que les recherches généalogiques demandent beaucoup de temps et que, dans ces conditions, nous avons tendance à favoriser certaines recherches sur d'autres.
Il serait d'ailleurs intéressant, un jour, d'explorer cet inconscient un peu collectif : pourquoi poussons-nous les recherches plus rapidement et plus loin dans certaines branches ascendantes que dans d'autres ?
Les raisons en sont parfois matérielles : certains actes sont plus complexes à trouver que d'autres.
Tel est le cas de la naissance du grand-père d'Azeline LE BLAIN, ma propre arrière-grand-mère : il me fallût de la ténacité pour découvrir son origine.
Azeline donna naissance à mon grand-père Jean Baptiste RENAULT en 1880 au Gouray, localité des Côtes-du-Nord située au sud de Lamballe. Elle était elle-même née en 1841 à Plœuc (aujourd'hui Plœuc-sur-Lié), une autre localité du Mené.
J'avais sans difficulté trouvé les propres parents d'Azeline, Mathurin LE BLAIN et Victoire CAMUS, nés respectivement à Maure (aujourd'hui Maure-de-Bretagne, près de la forêt de Paimpont) et à Tréfumel près de Dinan. Mais je butais sur l'origine de son grand-père maternel Louis CAMUS.
Mon opiniâtreté fut finalement récompensée par la découverte de son mariage en 1803 à Saint-Jouan-de-l'Isle dans les Côtes-du-Nord : marié à Saint-Jouan, Louis CAMUS devait donc être encore un "gars du M'né", un garçon du Mené, comme tant d'autres.
Que des Bretons, je vous l'ai dit…
Acte de mariage de Louis CAMUS et de Angélique LE CLERC le 12 mais 1803
à Saint-Jouan-de-l'Isle (Côtes-du-Nord). [cliquer pour agrandir]
Je finis par découvrir sur son acte de mariage que mon ascendant "du Mené" était en réalité né à Beaune le 7 juin 1776, dans le faubourg Saint-Nicolas.
Je crus, dans un premier temps, qu'une branche ascendante avait quitté le Mené quelques temps pour s'installer en Bourgogne avant de revenir au pays. Mais je dus me rendre à l'évidence : Louis CAMUS avait pour parents Pierre CAMUS né à Germigny l'Exempt (Berry) en 1734 et pour mère Jeanne TALVAULT née à Arnay-le-Duc (Bourgogne) vers 1736.
La conclusion était simple : les aïeux de Louis CAMUS étaient Berrichons et Bourguignons, et aucunement Bretons. C'était là une révision un peu inattendue de nos certitudes familiales, qui me combla de bonheur : j'accueillis les bras grands ouverts cette branche ascendante tout en me demandant ce qui avait bien pu pousser Louis, ce jeune Bourguignon, à traverser la France entière pour venir habiter à Tréfumel, en Haute-Bretagne.
Acte de naissance de Louis Henri CAMUS le 7 juin 1776 à Beaune
(Archives départementales de la Côte d'Or).
"Le 8 juin 1776 a été baptisé Louis Henri né hier fils de Pierre Camus cuisinier à Beaune faux bourg St-Nicolas et d'Anne Talveault son épouse. Il a eu pour parrain Louis Henri Dubois fils de défunt Antoine qui était marchand à Châteauneuf [aujourd'hui Châteauneuf-en-Auxois] et pour marraine demoiselle Magdelaine Millié fille du sieur Edme Millié marchand carrossier en cette paroisse".
Tous les actes, depuis son mariage jusqu'à la naissance à Tréfumel de ses deux filles Victoire et Cyprienne, mentionnent que Louis CAMUS était gendarme à pied.
A ce titre, sa famille bénéficiait d'un logement de fonction à la gendarmerie de Tréfumel située alors dans la cadre très agréable de Château La Rivière, au milieu du bourg.
Château La Rivière, à Tréfumel (Côtes-du-Nord), alors gendarmerie.
(photo fin XIXème siècle).
Si Louis CAMUS, âgé de 27 ans au moment de son mariage, se trouvait en Bretagne alors qu'il était natif de Beaune, cela s'expliquait donc en partie : comme beaucoup de fonctionnaires de l'Etat, les gendarmes ont vocation à être affectés en tous lieux du territoire national.
Mais on sait aussi que, sauf cas particulier, l'administration ne nomme pas volontairement un agent à l'autre bout du pays. En clair, il fallait un motif sérieux pour justifier une affectation aussi éloignée de sa famille bourguignonne.
Louis CAMUS s'étant définitivement installé en Bretagne, il est probable que ce voyage de Beaune à Tréfumel avait été pour lui celui d'un adieu définitif à sa Bourgogne natale et à ses parents qu'il ne revit jamais.
Un motif sérieux, mais lequel ?
Louis Henry (ou Henri, selon les actes) CAMUS fut enrôlé dans la maréchaussée vers l'âge de 18 ans, et fut gendarme à pied durant la fin de la Révolution puis à l'avènement du 1er Empire.
La période est alors trouble, notamment en Bretagne, et les combats entre "bleus" (soldats républicains) et chouans font alors encore rage dans la région de Dinan et de Broöns.
Le 24 décembre 1800, le consul Bonaparte échappe de peu à un attentat rue St-Nicaise à Paris. L'enquête indique que les instigateurs sont royalistes et, pour l'essentiel, implantés en Bretagne et dans l'ouest de la France.
Joseph Picot de Limoëlan, personnalité royaliste importante, est l'un des principaux responsables de l'attentat. Son château se situe à Sévignac près de Broöns et de Dinan. Présent sur place lors de l'attentat, il quitte Paris après l'explosion et prend la fuite en Amérique.
Le "motif sérieux", le voilà ! Des renforts importants de gendarmerie (200 nouvelles brigades, soit environ 1 200 hommes) sont expédiés durant le Consulat dans l'ouest de la France, et il apparaît probable qu'il s'agisse là de la raison de l'arrivée de Louis CAMUS dans les Côtes-du-Nord.
En clair, la gendarmerie recrutait en nombre des jeunes gens un peu partout en France et leur proposait, moyennant une solde modeste mais stable, des vêtements et un logement de fonction, un métier d'aventure et d'autorité dans certaines anciennes provinces remuantes et incomplètement gagnées aux idées de la Révolution.
Son département de résidence conduit à penser que Louis CAMUS, le futur grand-père de mon arrière-grand-mère, était affecté à la 4ème légion et au 7ème escadron de la gendarmerie impériale, lors de l'avènement de l'Empire en 1804.
A l'évidence, sa fonction conduisit Louis à soutenir fermement le Consulat puis l'Empire. Il participa aux missions ordinaires de la gendarmerie : contrôle des passeports intérieurs, arrestation des déserteurs, prévention des mouvements hostiles à la Révolution et à l'Empire.
Je propose ce sujet, la vie de Louis CAMUS, car il regroupe de nombreuses thématiques liant la généalogie et l'Histoire :
- les migrations d'ancêtres et l'opposition entre sédentaires et voyageurs. Ici, un "étranger" bourguignon né à 660 km (165 lieues) fait irruption dans la vie de familles installées dans le Mené depuis plusieurs siècles ;
- le développement durant la Révolution de la fonction publique de l'Etat (ici, la gendarmerie) qui se poursuivra durant tout le XIXème siècle et qui contribuera, par la mobilité professionnelle, à un relatif brassage des populations ;
- la lutte armée entre d'une part les royalistes et les chouans, et d'autre part la République qui s'impose peu à peu dans des provinces très hostiles et dans un contexte politique encore fragile.
Je retire de mes découvertes généalogiques l'idée que, même s'il avait été affecté sans discussion dans un territoire très éloigné du sien pour contribuer à y réprimer le mouvement royaliste et à y rétablir l'ordre, notre gendarme bourguignon Louis CAMUS sut s'adapter rapidement à son nouvel environnement, y compris sous l'angle sentimental.
Deux ou trois ans après son arrivée en Bretagne, il se mariait avec Angélique LECLERC, originaire de Quédillac (Ille-et-Vilaine) avec qui il fondait une famille… dont je descends à mon tour.
J'ignore si mes aïeux du Mené étaient "blancs" ou "bleus", royalistes ou républicains mais je sais au moins une chose : le conflit entre les chouans et l'armée de la République fut l'occasion d'élargir ma propre généalogie.
Et ce qui était guerre et souffrances se termina, la paix venue, par un mariage et une jolie descendance...
Jean-Marie Renault
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VERONIQUE ESPECHE (samedi, 02 novembre 2024 11:37)
beau doublé avec ce Breton-Bourguignon
Bhartrig (samedi, 02 novembre 2024 13:01)
Je suis actuellement sur les traces d'un bourguignon, parti dans le Var. Il est né en 1777 à Saint-Jean-de-Losne, Côte-d'Or. La Révolution a secoué nos bourguignons !
Marie-Isabelle FEMENIA (samedi, 02 novembre 2024 14:46)
Une belle découverte avec l'explication de la migration. En plus ça ouvre sur d'autres thématiques, et c'est agréable à lire.
Christelle Gomes (samedi, 02 novembre 2024 18:00)
Super découverte ! Les ancêtres migrants sont particulièrement intéressants à étudier, c'est un de mes péchés mignons.
Marie Laure (dimanche, 03 novembre 2024 08:31)
Super cet article! J’ai trouvé moi même au bout de quelques années des origines mosellanes que la famille croyait bretonnes. La chute d’un mythe.
Ninnog (dimanche, 03 novembre 2024 08:43)
Coucou
Petite précision d'une habitante du coin : Ploeuc sur Lié est devenue désormais... Ploeuc L'hermitage. Ces fusions de communes rendent sans doute parfois plus difficiles les recherches d'archives !
Christine Luxemburger (dimanche, 03 novembre 2024 11:12)
Bonjour
Bravo. Je rencontre souvent le phénomène dont vous parlez au début de l'article. La plupart des familles sont convaincues d'une ou deux origines et ont oublié les autres. C'est le début de ma propre aventure généalogique: comment être Lyonnais avec un nom mosellan.
Béatrice Lct (lundi, 04 novembre 2024 17:18)
Chouette découverte !