Naissances légitimes ou illégitimes, parfois une question de date !

 

En couverture : le martyre de Sainte Marguerite, patronne des femmes enceintes et des jeunes mères (bois peint ca.1450, chapelle du Tertre, Châtelaudren, Côtes d'Armor). 

Je dédie cette gravure à toutes mes aïeules, notamment aux Marguerite (et plus particulièrement à Marguerite Le Troquer et à Marguerite Simon, évoquées dans cet article), ainsi qu'aux natives du Trégor-Goëlo.

 

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La population de mes ascendants connaît quelques rares naissances "illégitimes", mais certains enfants "légitimes" ont échappé de peu au déshonneur d'être, à l'époque, nés d'une mère célibataire.

 

Deux enfants "illégitimes".

 

La terminologie employée auprès de mes aïeux par les officiers de l'Etat-civil ou, avant eux, les recteurs (en Bretagne) et curés (ailleurs en France et en Belgique) varie au gré des lieux et des époques.

Selon les cas, les enfants sont naturels, sans plus de précision, ou illégitimes, ce qui est plus explicite, ou naturels et illégitimes. Tout est probablement affaire de nuances de la part du rédacteur.

 

J'ai longtemps hésité à publier ces naissances, me disant qu'il s'agissait de secrets qui n'avaient pas vocation à être connus et rappelés.

Mais le regard contemporain sur ces enfants et leurs mères ayant favorablement évolué, je me suis dit que le fait de porter aujourd'hui ces situations à la connaissance de tous n'entacherait aucunement la mémoire des ces aïeux et de leurs mamans auxquels je voue un respect d'autant plus grand que leur vie a été souvent un parcours difficile, sinon peut-être parfois un long calvaire.

 

 

  • Elizabeth JEGOU (descendance JEGOU>LE ROHAN>JEAN>RENAULT)

C'est à Gommenec'h (Bretagne, évêché de Tréguier) le 30 août 1730 que mon aïeule Elizabeth ("Sosa 165") voit le jour. En l'absence de père connu, elle porte le nom de sa mère, Catherine JEGOU. Même son prénom n'est pas clairement fixé puisqu'il varie selon les périodes entre Elizabeth, le prénom de sa marraine Elizabeth KERNAONET, et Isabeau lors de son mariage en 1754.

 

Son acte de baptême est explicite :

 

"Elizabeth Jégou, fille illégitime de Catherine Jégou, née le 30 août mil sept cent trente, a été baptisée le trente et un du même mois dans l'église paroissiale de Gomenech par le soussignant. Parrain et marraine ont été Gui Le Caër et Elizabeth Kernaonet qui ne savent signer". [AD22, Gommenec'h BMS 1729-1746, vue 29/248]

 

On ne sait rien ou presque aujourd'hui des conditions de vie de Catherine et de sa fille. Dans le Trégor-Goëlo de cette époque, il y a fort à parier que l'exploitation du lin (filandières) constitue la principale ressource.

 

Rien n'est rapporté ici sur l'acceptation de cette situation de "péché" dans la famille de la mère et de l'enfant, dans le village et dans la paroisse.

On sait cependant que souvent la "fille-mère" était méprisée, voire rejetée.

Gwerz Mari Mason (la complainte de Marie Masson), chanson du Goëlo que fredonnait ma grand-mère bretonnante Augustine JEAN, native de Lannebert non loin de Gommenec'h, en dit long sur le sort réservé à certaines de ces femmes (cliquer pour agrandir) :

 

Gwerz Mari Mason, in Kanaouennoù Pobl dastumet gant Alfred Bourgeois,

éd. Kenvreuriez Sonerien Pariz, Paris 1959.

 

Cette chanson relate le drame de Marie Masson, enceinte d'un baron qui lui offre généreusement 50 écus pour élever l'enfant qu'elle a eu de lui après lui avoir fait croire qu'il l'épouserait dans les trois jours.

Marie supplie son père de lui ouvrir sa porte, et celui-ci lui répond : "Na kerz kuit ha pell deus ma zi / Pe me a laosko warnout ma c'hi" (Fiche le camp loin de chez de chez moi, ou je lâche mon chien sur toi).

 

  • Mathurin SIMON (descendance SIMON > RENAULT)

Une situation analogue à celle de Marie Masson dans la gwerz précédente concerne mon aïeul Mathurin SIMON ("Sosa 130"), né à Maroué (Bretagne, évêché de St-Brieuc) en 1694.

 

Dans le cas présent, bien que la mère soit seule, on connaît l'identité du père par une indiscrétion rapportée aux oreilles du recteur de la paroisse, qui la relate jusque dans l'acte de baptême ! (cliquez pour agrandir)

 

"Mathurin, fils naturel et illégitime de Margueritte SIMON, demeurant en Moixigné, chez Noëlle BIZEUL, par charité depuis deux mois ou environ, né de hier, a été baptisé dans l'église de St Pierre de Maroué par moy soussignant, recteur le vingt sixième novembre mil six cent nonante quatre. Parrain Alain SIMON, marraine Noëlle BISEUL, demeurant de Moixigné. Présents Jacquemine [  ], mère de la dite Noëlle BIZEUL. L'enfant avoué à Jan REMIGNARD ainsi que me l'a rapporté ledit Alain SIMON, l'avoir entendu de la sage femme Margueritte OGIER. Signé Claude PILARD recteur de Maroué" 

[AD22, Maroué BMS 1693-1722, vue 40/451].

 

Cet acte nous indique la situation d'extrême pauvreté de Marguerite SIMON, la maman de Mathurin, "hébergée par charité" chez la femme qui deviendra la marraine de l'enfant.

 

Le père biologique, Jean REMIGNARD, ne paraît pas avoir reconnu l'enfant et rien n'indique qu'il ait contribué matériellement aux besoins de son fils. Habitant Maroué mais fréquentant la ville de Lamballe, qualifié d'honorable homme, il se marie très chrétiennement en 1678 avec honorable femme Christine Patrenostre dont il aura plusieurs enfants. L'acte de mariage [AD22, Lamballe Notre-Dame et St-Jean BMS 1676-1682, vue 222/449] est un concentré d'honorables hommes et d'honorables femmes.

 

Mais en février 1694, la route de cet homme au-dessus de tout soupçon croisera celle de mon aïeule Marguerite SIMON, vulnérable, très pauvre, hébergée où elle peut par quelques âmes bienveillantes dans le faubourg de Moixigné situé entre Lamballe et Maroué. On devine la suite.

 

 

Des naissances légitimes... grâce à leur date !

 

Le respect des règles de l'Eglise étant une obligation absolue, sauf à prendre le risque pour la mère d'être définitivement déshonorée, il s'agissait pour les couples de se présenter mariés lors de la naissance du premier enfant.

 

Je retiens chez mes aïeux trois situations qui témoignent d'une urgence croissante à se mettre en conformité avec les normes.

 

  • Jeanne JEAN dit Blais (descendance JEAN > RENAULT)

 

Gui JEAN dit Blais, mon "Sosa 80", naquit à Goudelin (Bretagne, évêché de Tréguier) en 1725 mais il fréquenta la paroisse voisine de Gommenec'h.

C'est là qu'il fit la connaissance de Louise EVEN, ma "Sosa 81" native de cette paroisse.

 

Gui avait 49 ans en 1774 quand il épousa Louise, qui n'en avait que 19. Mineure et orpheline de père, la jeune femme dût obtenir l'autorisation du juge pour se marier, le fameux décret de mariage propre à cette province.

 

L'histoire ne relate pas les détails de leur rencontre, que l'on devine un peu, mais le mariage voit sans doute son explication, malgré les trente années d'écart entre les deux conjoints, par la relative urgence de la situation.

 

Louise se retrouve enceinte. Gui ne la laisse pas seule et accepte le mariage. La bénédiction se déroule le 13 septembre 1774 dans l'église paroissiale de Gommenec'h. [AD22, Gommenec'h BMS 1770-1792, vue 65/306].

 

Il était temps ! L'enfant, prénommé Jeanne, naît le 4 février 1775 soit 4 mois et demi après le mariage de ses parents. Compte tenu du froid qui règne à cette saison et de l'état sanitaire des populations rurales, il paraît exclu qu'un enfant prématuré ait pu survivre longtemps après sa naissance. Si l'enfant n'était pas prématuré, c'est donc bien qu'il avait été conçu hors mariage.

 

Jeanne JEAN dit Blais meurt finalement à l'âge de 9 mois. Elle est la sœur aînée de mon aïeul Louis JEAN dit Blais qui, lui, vivra durant 72 années.

 

  • Marie Jeanne LE BLAIN (descendance LE BLAIN > RENAULT)

 

Fille aînée de mes aïeux cultivateurs Jean LE BLAIN (Sosa 36) et Marie CORVOISIER (Sosa 37), Marie Jeanne voit le jour le 24 mars 1793 au village du Rocher, dans la commune de Maure (département d'Ille-et-Vilaine), huit semaines seulement après le mariage de ses parents qui s'était déroulé le 21 janvier de la même année [AD35, Maure M 1793-1794].

 

Marie Jeanne sera l'aînée d'une fratrie de huit enfants dont fera partie mon aïeul Mathurin LE BLAIN (Sosa 18), également né au Rocher à Maure et décédé au Gouray (département des Côtes-du-Nord) en 1861.

 

Bien que l'Etat-civil soit désormais tenu par les maires et non plus par les recteurs, l'enjeu du mariage reste doublement important même s'il ne survient qu'en fin de grossesse : d'une part, assurer les droits civils de l'enfant après sa naissance, et d'autre part rassurer chacun sur la moralité d'un couple auprès d'une famille et d'une population locale qui, malgré la Révolution, restent attachées à des valeurs catholiques hostiles au concubinage ou à l'union libre.

 

  • Julienne PESCHELOCHE (descendance PESCHELOCHE > LECLERC > CAMUS > LE BLAIN > RENAULT)

 

Petit retour dans le Mené. Une aventure identique à la précédente arriva à mon aïeule Mathurine LEVESQUE (ma Sosa 1253), née en 1639 à Quédillac (Bretagne, évêché de St-Malo), mais dans des conditions encore plus urgentes.

 

Sa rencontre avec Charles PESCHELOCHE (Sosa 1252) né en 1631, également à Quédillac, donna lieu à une grossesse hors mariage.

 

Agés respectivement de 28 et de 21 ans, Charles et Mathurine se marièrent devant le recteur le 16 février 1661 dans l'église paroissiale de Quédillac.

 

Le 27 février, soit onze jours plus tard, naissait leur fille Julienne PESCHELOCHE, la sœur aînée de mon ancêtre Robert (Sosa 626) ! 

 

L'honneur était sauf. Le couple marié eût au moins six enfants.

 

Je pourrais en rester là, mais je ne résiste pas à l'envie de vous présenter un dernier cas, un cas unique pour moi, qui est une véritable pépite !

 

  • Marguerite LE TROQUER (descendance LE TROQUER > OLLIVIER > VITEL > JEAN > RENAULT)

 

Nous sommes en 1785, de retour dans le Goëlo entre Lanvollon et la mer. Mes aïeux Claude LE TROQUER (Sosa 94) et Aimée GUILLOU (Sosa 95), tous deux de Pléguien, se marient le 5 août de cette année-là dans l'église paroissiale.

 

Tout serait ordinaire si, dans l'acte de mariage rédigé par le recteur de Pléguien, un autre acte placé immédiatement après ne venait pas interférer en donnant à l'ensemble une rédaction des plus complexes.

 

Qu'on en juge par la lecture des deux actes : (cliquer pour agrandir)

[Source : AD22, Pléguien BMS 1776-1792, vues 226-227/390].

 

 

"Le cinq du mois d'août mil sept cent quatre-vingt-cinq, je soussigné recteur ai solennellement marié par paroles de présents, fiançailles préalablement célébrées, Claude Le Troquer âgé d'environ vingt-et-un ans, fils de Nicolas Le Troquer, laboureur et [] de cette paroisse et de Marie Le Boubenec son épouse, ses père et mère de cette paroisse d'une part, et Aimée Guillou âgée d'environ vingt-six ans et demi, fille de Gilles Guillou laboureur et de feue Jeanne Le Troquer son épouse, ses père et mère de cette paroisse d'autre part. Après avoir reçu leur consentement mutuel et en vertu de la dispense du troisième degré de consanguinité entre les parties accordée par Monsieur l'abbé de Robien, vicaire général de Saint Brieuc en date du neuf juillet mil sept cent soixante cinq, signée de Robien vic: gen:, dûment insinuée rendue aux parties à leurs prières, ne s'étant trouvé aucune opposition à la publication des promesses de leur futur mariage que j'ai faite aux prônes de notre messe paroissiale le dimanche dix du mois dernier, avertissant que c'était la première et dernière publication attendu que les parties étaient dans le dessein de se pourvoir et de demander dispense des deux autres qui leur a été accordé par Monsieur le grand vicaire de Saint Brieuc en date du second jour d'août même mois et an et que devant signé de Robien vic: gen: et plus bas par Monseigneur Manoir chanoine secrétaire dûment insinué, rendue aux parties à leur demande et ai ensuite célébré la messe pour lesdits épousés, le tout en présence de Nicolas Le Troquer père de l'époux, d'Yves Josse son voisin, d'Olivier Guillou frère de l'épouse, de Guillaume Rivoal sonneur de cloches de céans, lesquels préalablement avertis selon l'édit des peines de faux témoignage en ce cas, ont déclaré connaître parfaitement lesdits époux, leur âge, qualité et domicile et n'y avoir entre eux aucun empêchement canonique ou civil, les dénommés ci-dessus demeurant tous en cette paroisse et ont signé, fors lesdits Guillou et Rivoal qui ont déclaré ne le savoir faire, de ce interpellés.

Signé Josse, G. Guillou, Nicolas Le Troquer, Gloux recteur. "

 

Cet acte de mariage est immédiatement suivi de l'acte suivant :

 

"Et à l'endroit le même jour du mois d'août et an que de pour lesdits Claude Le Troquer et Aimée Guillou épousés, ainsi qu'il paraît dans l'acte ci-devant pour rendre témoignage à la vérité et satisfaire au devoir de leur conscience, ont reconnu et déclaré que de la fréquentation qu'ils ont eue ci-devant ensemble est issue une fille baptisée à la maison étant en péril de mort par messire François Foëson curé de céans le neuf du mois de juillet dernier à laquelle le même dit curé a suppléé les cérémonies de baptême le douze du même mois sous le nom de Marguerite, dont furent parrain Gilles Guillou et marraine Marguerite Rivoallan et que c'est pour conserver en tant que besoin ferait les justes prétentions de ladite Marguerite leur fille qu'ils font la présente déclaration : le tout en présence dudit Nicolas Le Troquer, père de l'époux soussignant, dudit Yves Josse son voisin et soussignant, dudit Olivier Guillou frère de l'épouse, et dudit Guillaume Rivoal, ainsi que lesdits épousés ont déclaré ne savoir signer, de ce interpellés".

 

Derrière cette rédaction alambiquée se cache une réalité bien simple : Marguerite est une enfant née hors mariage, donc initialement illégitime, de parents tous deux connus ("de leur fréquentation ensemble est issue une fille") dans des conditions d'accouchement difficiles qui auraient pu entraîner sa mort. Ce dernier motif a justifié le baptême à domicile le 9 juillet, peu après la naissance de l'enfant .

 

Un véritable baptême dans l'église paroissiale a été prononcé le 12 juillet plus conformément aux règles de l'Eglise, l'enfant semblant prendre un peu de vigueur. Toutefois, l'enfant restait encore illégitime.

 

Voulant "témoigner de la vérité" et satisfaire au "devoir de leur conscience", Claude LE TROQUER et Aimée GUILLOU décidèrent donc de se marier. La cérémonie eût lieu le 5 août de la même année dans l'église paroissiale de Pléguien.

Abandonnant le concubinage, ils se mettaient ainsi en conformité avec les règles de l'Eglise et, par leur déclaration, reconnaissaient tous deux l'enfant et permettaient à leur fille Marguerite d'être une enfant légitime pouvant désormais jouir de tous ses droits.

 

On le voit, la légitimité ou non d'une naissance est parfois une question de date !

 

Qu'on se rassure sur la vie ultérieure de la petite Marguerite qui faillit mourir à la naissance : elle vécut suffisamment longtemps pour se marier et enfanter sept fois en dix ans. 

 

Sa vitalité lui permit une longue descendance, au bout de laquelle se situe le rédacteur de cet article.

 

 

Jean-Marie          

 

 

 

 

 

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Commentaires: 4
  • #1

    Joelle (lundi, 04 décembre 2023 15:45)

    De vraiment superbes recherches et une rédaction impeccable qui donne envie d'en lire toujours plus...

  • #2

    Hervé (lundi, 04 décembre 2023 20:52)

    Impressionnant!
    Merci à toi, pour notre famille, et tout ce qui retrace les règles et soumissions de l' époque!...Même si nous en subissons d' autres à ce jour...

  • #3

    Michèle (lundi, 04 décembre 2023 22:02)

    Quelle surprise de découvrir votre article!
    J'en ai adoré la lecture fluide et documentée. La petite histoire dans la Grande histoire de France dans nos campagnes. Je suis allée de surprises en surprises en découvrant les patronymes de vos ancêtres. Nous avons un ancêtre commun voir deux.
    Gillette SIMON (sosa 28253) ca 1550/1619 Maroué x à Jéhan LE PREVOST, peut être parente de Marguerite. (du côté de mon Père né au Gouray)
    Claude LE TROQUER x à Aimée GUILLOU dont j'ai noté la naissance de leur première fille GUILLOU/LE TROQUER. La soeur ainée de Claude, Françoise est mon sosa 455 (du côté des mes deux GP maternels nés à Goudelin).
    Merci pour votre publication.

  • #4

    Hervé (jeudi, 07 décembre 2023 20:11)

    Bonjour et merci pour toutes ces informations, c'est impressionnant toutes ces découvertes, quel travail de recherche. Nous avons des ancêtres communs, ma grand mère s'appelait Simone Renault marié à Adrien Hervé.
    Encore merci

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2024

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