La lecture du registre des baptêmes de la paroisse de Quédillac (Bretagne, évêché de St-Malo) des années 1661 à 1668 se termine par trois pages soigneusement séparées des autres par deux pages vierges.
A l'évidence, le recteur n'entendait pas mélanger toutes les naissances, et dix d'entre elles ne méritaient pas de figurer dans le registre général des enfants de bons chrétiens.
Quelle faute avaient bien pu commettre le jour de leur naissance Aline Gicquel, Mathurin Lebrun, Olive Renault, Julienne Bouxin, Marie Leroy, Perrine Solidor, Guillemette Coliz, Guillemette Herbaut, Mathurine Levrel, et une enfant dont le nom est illisible, pour mériter pareille sanction ?
Si la vie de ces dix enfants commençait bien mal, c'est qu'ils étaient nés dans le péché. Leurs mères respectives les avaient mis au Monde sans pouvoir attester d'un mariage préalable devant Dieu, condition absolue à la légitimité de leur existence.
Les causes en étaient nombreuses, et chaque fois la mère se trouvait bien seule. Seule devant Dieu et ses ministres, seule devant le jugement moral des habitants de la paroisse, seule devant sa famille, souvent seule enfin à pourvoir matériellement aux besoins de l'enfant.
La lecture d'innombrables actes de baptême m'avaient habitué à déceler le qualificatif de "légitime" ou d'"illégitime" (ou "naturel") après le nom de chaque enfant, mais les recteurs concernés avaient toujours pris soin d'inclure ces baptêmes dans la liste chronologique des naissances. Le qualificatif de l'enfant suffisait en soi comme jugement.
Le recteur de Quédillac était assurément zélé, pour ne pas dire malveillant. Non content d'extraire ces naissances de la liste commune et de les isoler en fin de registre, il écrivit en titre de ces feuillets sulfureux :
" Jamais les pécheurs n'entreront dans le Ciel s'ils ne se convertissent ".
Sans doute une telle pratique est-elle bien éloignée de nous et de notre époque, mais je me prends à penser au sort de ces dix mères et de ces dix enfants marqués à jamais du sceau de l'infâmie.
J'y pense d'autant plus que pareil jugement aurait pu être porté sur une de mes ancêtres, Mathurine LEVESQUE, ma "Sosa 741" dont je descendrai 316 ans plus tard.
Mathurine se maria le 16 février 1661 avec Charles PESCHELOCHE. Il était temps ! Onze jours plus tard, le 27 février de la même année, Mathurine donna naissance à Julienne, le premier enfant du couple.
Onze petites journées pour éviter un affront définitif.
Souhaitons que, le jour des noces, la malveillance du recteur se soit quelque peu adoucie à la vue d'un ventre bien trop rond, certes, mais dont l'enfant sera légitime et bon chrétien...
Jean-Marie
N'hésitez pas à laisser votre avis sur cet article si vous le souhaitez.
Écrire commentaire
Joelle (mardi, 28 novembre 2023 16:13)
Tout-à-fait effrayant mais c'est resté longtemps dans l'esprit des foules...