Psychomagie, ou soigner les traumatismes du passé ?

Psychomagie. L'artiste et réalisateur franco-chilien Alejandro Jodorowsky, parfois controversé, inventa ce concept qu'il précisa dans son Manuel de Psychomagie (Albin Michel, 2009) et dans son film Psychomagie, un acte pour guérir (2019).

 

Anne Berest le cite dans son roman La Carte Postale (Grasset, 2021) : "Nous trouvons dans l'arbre généalogique des endroits traumatisés , non digérés, qui cherchent indéfiniment  à se soulager. De ces endroits sont lancées des flèches vers les générations futures. Ce qui n'a pas pu être résolu devra être répété et atteindre quelqu'un d'autre, une cible située une ou plusieurs générations plus loin".

 

 

Ce qui n'a pas pu être résolu... Les traumas du passé... Ces propos m'ont fait réfléchir aux traumatismes possibles de ma généalogie, à des flèches qui me seraient adressées afin de les soulager.

 

Se pourrait-il que des drames, des quêtes, des demandes pressantes du passé familial soient restés béants et sans réponses, et que des appels silencieux nous pressent de les résoudre ?

 

Nous sommes à la croisée des approches et des sensibilités, où la psychogénéalogie et l'Histoire s'affrontent, s'enrichissent et se fécondent. Car, que l'on soit ou non cartésien, il nous faut reconnaître que le hasard des recherches n'explique pas tout et que des forces probables nous orientent, en général à notre insu.

 

J'ai cherché dans ma généalogie des appels que j'aurais inconsciemment entendus. En faisant l'inventaire de plusieurs années d'exploration, je sors aujourd'hui de mes longues listes 4 recherches qui sont effectivement des "flèches envoyées vers les générations futures".

 

  • Sauver le Cahier de campagne dans les mers de Chine et du Japon de Louis JEAN.

 

Rien ne justifiait qu'un beau jour de l'année 1999, disposant d'un peu de temps, je me rende à St-Brieuc sur la tombe de mon arrière-grand-mère Reine VITEL et de ses enfants et petits-enfants. Que je découvre que ce lieu, que je croyais abandonné depuis les années 1950, était régulièrement fleuri. Que ces fleurs fraiches étaient déposées par une femme qui vivait à seulement quatre kilomètres de chez moi, dans le Finistère.

Cette force sans but apparent, qui m'avait conduit à St-Brieuc, me poussa à appeler cette voisine inconnue, qui m'invita chez elle à me saisir dans son grenier des vieux papiers, cartes postales et autres documents dont elle avait prévu de se débarrasser quelques jours plus tard.

Et dans cet ensemble abandonné et voué à une destruction imminente émergea une pépite : le Cahier de campagne dans les mers de Chine et du Japon, écrit par mon arrière-grand-père Louis JEAN, le mari de Reine VITEL.

Qui, de Louis ou de Reine, avait décoché dans ma direction la flèche du passé et m'avait demandé de sauver ce témoignage précieux, en me rendant sans but précis sur une tombe d'ancêtre ?

 

  • Réunir Isoline MORLAIS et son fils Louis.

 

A propos de tombe, une autre recherche sans objectif apparent, celle d'Isoline MORLAIS. Le temps est un peu compté, pour moi comme pour nous tous, et je ne peux pas chercher longuement les généalogies collatérales et cousines de mes propres ascendants : le temps que je consacre déjà à ces derniers remplit bien certaines journées.

Toussaint 2021, fleurissement traditionnel des tombes. Je déambule dans le cimetière St-Martin de Brest à la recherche de la tombe de mon arrière-grand-père brestois Joseph MORLAIS.

Sur la sépulture figurent des noms, celui de Joseph et de sa femme, de certains enfants et petits-enfants. Etonnamment, le nom de son gendre Louis CLOT mais pas de sa fille Isoline.

Par quel étrangeté de la vie une tombe comporte-t-elle, parmi d'autres, les corps de deux ancêtres, de leur gendre et de leur petite-fille mais pas de leur propre fille ?

J'aurais pu en rester là. Après tout, Isoline est la sœur de mon grand-père et le temps aurait du me manquer.

Et pourtant, plus ou moins consciemment, cette anomalie me semble cacher un sens que je veux comprendre.

Mes recherches me conduisent à 600 km de là, au cimetière de Bobigny : je découvre en décembre 2021, sous un épais manteau de mousses et de feuilles mortes, la tombe où repose Isoline depuis 1953, seule, alors même que les services municipaux n'en trouvaient pas trace.

Je comprends alors qu'elle habitait à Paris chez sa fille Madeleine, mais je sens qu'il manque encore une pièce du puzzle.

Si les parents, Louis CLOT et Isoline MORLAIS, leurs deux filles Joséphine et Madeleine sont retrouvées, il manque Louis, leur fils et frère.

Nouvelle recherche, nouvelle découverte : Louis "fils" a vécu en Indochine où il cultivait l'hévéa. De retour en Bretagne, il s'est installé à Quimper où il est mort en 1942, avant sa propre mère et sans que celle-ci le sache. Indigent, il a été momentanément inhumé, puis ses restes ont été versés dans la fosse commune.

J'ai mis un peu de temps à comprendre que ces longues recherches, portant sur une branche qui n'est pas la mienne, avaient permis de rassembler des personnes qui voulaient être réunies. Pour leur sérénité, ou pour la mienne ?

 

  • Rappeler l'existence et le destin de Delphine MORLAIS, victime de la barbarie nazie.

 

Un après-midi d'avril 2023, je me surprends à conduire une recherche sans but véritable sur une famille cousine, les MORLAIS de Guingamp. Mes ascendants sont les MORLAIS de Brest. A plusieurs reprises, je crois perdre mon temps. Il fait beau dehors, j'ai des livres à lire, des plantes à tailler, des photos à faire... Mais je poursuis malgré moi, sans explication rationnelle à moi-même.

 

Une force me pousse visiblement dans une bien mystérieuse recherche, jusqu'à la découverte de Delphine, cousine de ma grand-mère Marie MORLAIS, et de son destin tragique qui me bouleverse.

 

Je n'aurais pu comprendre le drame de Delphine sans l'aide précieuse de Mireille et de Maryse LE GALL, petites-filles de Léontine LE GALL, elle aussi arrêtée, déportée et assassinée par la barbarie en même temps que son amie Delphine.

 

Je n'ai pas établi à ce jour que Delphine, veuve et sans enfants, ait été attendue par sa propre famille, ni par quiconque. Mais si la psychomagie a un sens, alors il est clair que la flèche du passé est partie en 1945 de Ravensbrück, endroit ô combien traumatisé, et que je crois l'avoir reçue.

 

J'espère, dans mes actions prochaines sur sa mémoire, être à la hauteur de ce que nous lui devons.

 

  • Faire cesser le bannissement d'Alexandre RENAULT, et s'ouvrir à lui.

 

Mon grand-oncle Alexandre, parti aux Amériques en 1887 alors qu'il avait 19 ans, fait l'objet de longues et encore vaines recherches depuis juin 1928, année où son neveu Jean RENAULT débuta quelques démarches.

 

On sait depuis toujours qu'il a refusé de revenir en Bretagne pour y faire son service militaire, et depuis 2022 qu'il a fui les autorités françaises à sa recherche dans l'Etat de Pennsylvanie.

 

Je pourrais m'en satisfaire. L'entretien virtuel qu'il a bien voulu m'accorder pourrait me suffire et constituer une façon de clore les recherches.

 

Et pourtant, une force un peu inconsciente me guide, comme elle avait guidé mon père. Il me semble qu'il cherche à nous faire comprendre quelque chose, qui nous échappe encore...

 

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Joelle (lundi, 12 juin 2023 17:54)

    Quelle généalogie exceptionnelle, animée et profonde ! Je ne crois pas au hasard, la poursuite de pistes précises t'inspire ton cheminement. Bravo !

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2024

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